NUL BESOIN d’un diplôme en médecine pour savoir que, côté immunité, nous ne sommes pas tous égaux. Certains résistent bien aux infections et maladies, d’autres luttent, d’autres encore succombent vite. Cette incertitude, les hommes et les médecins ont dû apprendre à l’accepter. La médecine moderne ajoute une deuxième inconnue au tableau : celle de la manière dont tel ou tel patient réagira lorsque l’espoir vient d’une thérapie agressive, chimio, immunosuppression… Cette fois, le thérapeute peut se sentir responsable, voire être désigné comme tel, alors qu’il est mal outillé pour prédire.
Depuis 2010, quatre études de recherche clinique examinent sur plus de 600 patients le potentiel d’un nouveau biomarqueur de l’état immunitaire, la divpénie. « Les résultats sont originaux. Ils ouvrent aussi sur une nouvelle compréhension de l’immunodépression chez le patient cancéreux », commente Jean-Yves Blay, coordonnateur du département d’oncologie médicale du Centre Léon-Bérard (CLB) à Lyon, un des lieux des tests.
Aujourd’hui, le tableau de l’état immunitaire démarre par la numération lymphocytaire, la lymphopénie totale, mais aussi les CD4, CD8 et CD56, un facteur pronostique et prédictif établi depuis une quinzaine d’années pour plusieurs néoplasies. Mais rien n’est parfaitement fiable en clinique. En 2004, jeunes docteurs, Nicolas Pasqual et Sébastien Weisbuch lancent une autre idée : un bon bouclier immunitaire, c’est un large éventail de défenses, en quantités suffisantes. Pour la faire aboutir, ils créeront la start-up ImmunID Technologies à l’origine de ce nouveau biomarqueur (voir encadré).
En pratique, la mesure du potentiel de la production des récepteurs TCR et BCR des lymphocytes est réalisée par PCR semi-quantitative des réarrangements des gènes V-D-J codant pour les parties des récepteurs déterminant la reconnaissance des antigènes. Cette diversité est ensuite comparée au nombre maximal de combinaisons génétiques possibles. Aujourd’hui, 1 ml de sang suffit (en 2004, il en fallait plus de 100).
Que dit ce biomarqueur ? Dans les conditions développées en 2010, la diversité combinatoire attendue pour des sujets sains et immunocompétents est, pour la chaîne Bêta des récepteurs T (TCR bêta),entre 5O% et 85 % de la diversité maximale et, pour la chaîne lourde des immunoglobulines (IgH), entre 60 % et 90 %. Au-dessous, c’est la divpénie. Cette mesure est associée avec un score clinique, la NDL (Numération diversité lymphocytaire), permettant de stratifier les patients sur la base de la numération et de la diversité. On distingue des divpénies mixtes T et B, mais aussi des divpénies majoritairement T (sida, traitement immunosuppresseur anti-CD3) ou B (traitement anti-CD20 ou CD19).
Des résultats prometteurs.
En 2006 les inventeurs rencontreront deux interlocuteurs décisifs : le Pr Jean-Yves Blay et le Dr Christophe Caux, du CLB. D’emblée le courant passe bien. L’oncologue et l’immunologiste cherchent justement un facteur prédictif pour cibler les patientes en chimiothérapie contre le cancer du sein capables de tirer profit d’un traitement « lourd », la corrélation mauvais pronostic-lymphopénie étant imparfaite .
Les premiers tests d’usage s’étant bien passés, un essai en deux cohortes sur environ 100 femmes a déjà été réalisé. Les résultats, prometteurs, seront présentés au congrès de l’AACR (American Association for Cancer Research), qui se tient du 2 au 6 avril. Chez les patientes atteintes de cancers du sein métastatiques, la divpénie est associée à un risque de mortalité plus élevé. Aussi, en cas de divpénie, les médecins pourront adapter le traitement afin qu’il soit moins immunosupresseur ou proposer et évaluer des mesures correctives.
« La technique est facile et les résultats s’interprètent vite, c’est important en routine », dit Jean-Yves Blay. Mais c’est probablement la capacité de la divpénie d’aider à comprendre le cancer qui a fini de le séduire. Normal, pour un président de l’EORTC (Organisation européenne pour la recherche et le traitement du cancer). « Il faut constituer en permanence des ponts entre la recherche fondamentale et clinique. Avec la divpénie, on voit la relation cancer/patient sous une lumière différente, ça aide à comprendre le rôle de l’immunité dans l’évolution clinique. Si l’immunité tombe, est-ce dû à une chute de production ou à une destruction augmentée ? Y a-t-il un lien avec les rémissions, les survies à long terme ? Enfin, on peut tenter de relancer le système », explique-t-il. « Ici au CLB, la divpénie pourrait être bientôt un des examens systématiques en début de prise en charge. »
Déjà des usages.
Tandis que les essais menés par Jean-Yves Blay se poursuivent par une étude prospective sur les cancers du sein et du poumon, fin 2010 a démarré avec les Hospices Civils de Lyon l’étude clinique prospective RIPAL**. Dirigée par le Pr Gilles Salles, le responsable du service d’hématologie, elle est axée sur les cas de lymphomes et de leucémies lymphoïdes chroniques et doit montrer si la divpénie peut être un marqueur biologique pour identifier le risque infectieux et aider à adapter les traitements. Dans le cadre d’essais cliniques ayant pour objectif de restaurer la fonction immune, ce biomarqueur permettra de démontrer l’importance de la réponse immune dans le contrôle de la progression tumorale.
L’industrie pharmaceutique s’y intéresse aussi. But : cibler les patients à inclure dans des essais cliniques, une stratification pour baisser des coûts et augmenter les chances de succès de l’étude.
Dernier atout pour la divpénie, c’est un outil potentiel de la médecine personnalisée, très prospère. Alors, s’il est encore tôt pour savoir ce que deviendra ce biomarqueur, il se peut que le suspense ne soit pas long…
* Répertoire Immunologique chez les patients atteints de lymphomes et de leucémies lymphoïdes chroniques.
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