PAR LE Dr FRANCK BOURDEAUT* ET Me DOMINIQUE DAVOUS*
LE TERME « d’erreur » recouvre une réalité variée de l’exercice quotidien du soin : errance diagnostique, défaut de prescription ou d’application de la prescription, manque de communication… Il convient de reconnaître que nombreux sont, chaque jour, les « écarts » le plus souvent médicalement insignifiants et ignorés, mais dont les conséquences peuvent parfois être lourdes, en termes de dommages physiques pour l’enfant ou de mise à mal de la confiance avec les familles. Les causes en sont nombreuses : défaut de vigilance, multiplicité des tâches et surcharge de travail, complexité des traitements, dangerosité des produits utilisés, renouvellements excessifs des intervenants en milieu ultra-spécialisé… La cause la plus susceptible de rompre la confiance, et en partie parce qu’elle est une cause très remédiable, est le manque de considération apportée aux parents et à leurs alertes.
Pourtant, au travers de nombreux témoignages recueillis auprès de parents, enfants et soignants travaillant en oncologie pédiatrique, il nous est apparu qu’une erreur n’entraînait pas nécessairement une rupture de relation, ni même une rupture de confiance. Cette possibilité de rupture ne semble pas dépendre de façon si univoque de la gravité de l’erreur, si dramatiques que puissent en être les conséquences pour l’enfant malade, ses parents et sa famille. De fait, nous avons été amenés à constater que, même sans conséquence tragique, une erreur peut engendrer un traumatisme durable. En réalité, l’erreur constitue toujours une épreuve pour l’enfant ou l’adolescent qui en est victime, pour ses parents et sa famille, et un réel traumatisme pour les soignants en cause. Mais la nature de l’alliance qui aura été établie ou non avant la survenue d’une erreur peut en conditionner les conséquences relationnelles et émotionnelles. La situation d’erreur est une mise en tension extrême de la relation soignant-soigné et en éprouve les fragilités comme les solidités.
La dimension collective de l’erreur.
Comment gérer alors de façon responsable et respectueuse une telle situation ? Il importe de mettre la dimension collective de l’erreur au centre du débat et ce partage de la responsabilité impose la solidarité au sein des équipes. Cette solidarité ne doit pas être comprise comme une protection corporatiste : elle manifeste l’interdépendance des soignants et l’indispensable cohérence dans la continuité des soins. Seuls une accumulation de défaillances successives et le défaut simultané de plusieurs niveaux de contrôle permettent à la catastrophe de survenir. À la lumière des nombreux témoignages, nous constatons que ces facteurs sont quasi constants dans la survenue d’une erreur et qu’ils y jouent un rôle déterminant. Mais toutes ces circonstances qui conduisent à l’erreur ne justifieront pas pour autant qu’elle ne soit pas explicitement abordée par les soignants auprès des parents et, éventuellement, de l’enfant.
En effet, l’essentiel de ce qui se joue au plan éthique est dans cette reconnaissance, ce qui la permet, le sens qu’elle revêt. Reconnaître l’erreur est un impératif moral bien difficile à mettre en pratique. D’abord parce que persiste l’idée que « toute vérité n’est pas bonne à dire », motivée chez les soignants, dans le meilleur des cas, par une volonté ambiguë et illusoire de protection des familles. A contrario, comment pourrait s’établir une relation de confiance s’il est admis que le soignant doive « dissimuler » ? Les soignants engagent leur crédibilité et, plus encore, leur responsabilité dans la reconnaissance de cette erreur. Nommer l’erreur engage l’authenticité des soignants, « humainement » exposés à cette erreur, mais tout aussi « humainement » appelés à la vivre en vérité. La qualité de la relation de confiance établie depuis le début de la maladie avec les parents et l’enfant, conditionne alors la capacité de dire et de pouvoir être entendu.
Surtout, à en croire les familles interrogées, cette reconnaissance et l’attention apportée à cette reconnaissance s’avèrent déterminantes dans l’atténuation ou au contraire l’amplification de la violence de l’événement. Nous avons entendu de plusieurs parents d’enfants (et d’enfants eux-mêmes) le bienfait de la reconnaissance de l’erreur, et a contrario, les méfaits de son ignorance ; la mise à jour de cette erreur et la formulation d’excuses, à titre personnel ou institutionnel, sont une condition sine qua non du maintien de la confiance. Pourvu aussi qu’elles s’ensuivent de mesures destinées à éviter que l’erreur ne se reproduise, et que cela soit annoncé aux parents.
Pour les soignants, l’enjeu de cette reconnaissance est de renouveler en leur for intérieur leur capacité à poursuivre sereinement leur métier. Cela passe aussi par une reconnaissance, à titre personnel, d’une participation à l’erreur « collective ». La rencontre « face à face », toujours décidée et portée en équipe, avec l’enfant et/ou les parents peut s’avérer cruciale pour la reconstruction d’une confiance en soi, et entre soi. Et, pour les enfants ou leur famille, elle permettra de poursuivre l’écriture de leur histoire personnelle et familiale dans un contexte si exceptionnellement douloureux.
Transformer les erreurs en objet de travail.
La question de l’information donnée à l’enfant lui-même paraît particulièrement délicate. Il va de soi que la nature de l’information donnée cherchera à respecter la spécificité de l’enfant, de son âge, et le cadre de ses relations avec ses parents. S’accorder avec eux de ce qu’il est bon de lui dire sera un prérequis. Il nous est apparu que la perception qu’ont les enfants dans leur corps des conséquences d’une erreur appelle tout au moins des explications, source d’apaisement ou de renouvellement de la confiance. Quoi qu’il en soit, s’interroger avec les parents, de principe et systématiquement, sur ce qu’il est bon de dire à l’enfant de cette erreur doit permettre d’éviter des présupposés non ajustés.
Enfin, apporter une attention collective aux erreurs peut aider à les réduire. Les procédures de prévention et d’analyse des erreurs (ou des événements précurseurs d’erreurs) sont en cours de généralisation dans les hôpitaux. Leur mise en œuvre est du ressort des institutions hospitalières : impliquer la direction des soins, la direction de la qualité, instaurer et développer la culture de l’analyse des événements indésirables dans les équipes. Ainsi, transformer les erreurs en un objet de travail pour l’institution hospitalière, c’est leur redonner leur dimension d’expérience constitutive du métier de soin. Les appréhender comme un « patrimoine commun » encombrant mais partageable, incite alors à échanger sur ce qu’elles ont pu susciter ou enseigner.
* Institut Curie, Paris
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