De nombreux professionnels sont potentiellement exposés aux cytostatiques, sans en avoir nécessairement conscience, malgré le caractère néfaste pour la santé de ces médicaments. Dans un récent avis, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) appelle à la reconnaissance du caractère cancérigène de ces substances, principalement administrées dans le cadre de chimiothérapie dans le cancer, mais aussi utilisées dans d'autres pathologies comme la polyarthrite rhumatoïde et la sclérose en plaques. L'évolution de la réglementation devrait permettre de renforcer les mesures de protection et de mieux sensibiliser employeurs et professionnels.
« Un certain nombre de données scientifiques s'accumule en faveur du caractère cancérigène des médicaments cytostatiques. C'est pourquoi nous avons été saisis par le ministère du Travail sur cette question », indique au « Quotidien » Henri Bastos, directeur scientifique Santé Travail à l’Anses.
Un mécanisme d'action qui favorise le risque cancérigène
Au-delà des résultats obtenus in vitro et chez l'animal, c'est le mécanisme d'action même des cytostatiques qui fait suspecter un effet cancérigène. « Les cytostatiques bloquent la division cellulaire caractéristique des cellules cancéreuses, entraînant leur mort ,explique Henri Bastos. Mais ils agissent aussi sur la division des cellules saines, notamment celles qui se renouvellent régulièrement comme les cellules sanguines. Une exposition régulière peut donc entraîner des dérégulations au niveau cellulaire et donc un risque de développer certaines pathologies comme le cancer », poursuit le directeur scientifique. Au-delà de ces connaissances théoriques, peu d'études épidémiologiques étudiant le lien entre exposition professionnelle à ces substances et cancer existent à ce jour.
Des données existent par ailleurs sur le caractère reprotoxique des cytostatiques. « Il faut en tenir compte dans le cadre de la prévention des risques. Nous pourrons les étudier dans une deuxième phase, après celle sur le caractère cancérigène », précise Henry Bastos.
Promouvoir la surveillance médicale des professionnels
L'Anses a identifié 18 principes actifs cytostatiques pour lesquelles des données sont disponibles, et qu'elle préconise d'inclure lors d'une prochaine mise à jour de l'arrêté fixant la liste des procédés cancérigènes en droit du travail. Et ce afin de mieux protéger les divers professionnels exposés, qu'ils soient soignants, vétérinaires, personnels de nettoyage etc. Selon les estimations de l'enquête Sumer 2017 de la Dares*, près de 92 000 salariés seraient exposés à ces substances.
Au-delà des professions à risque d'exposition, l'Anses définit les circonstances d'exposition à ces 18 substances : fabrication, conditionnement, préparation, transport, manipulation, mise en œuvre de protocoles impliquant ces substances, contamination via l’environnement de travail ou la gestion des déchets et des excrétions.
« La reconnaissance du caractère cancérigène des cytostatiques va entraîner de facto la mise en œuvre de la réglementation spécifique aux substances CMR (cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction, N.D.L.R.) qui prévoit d'évaluer les risques, sensibiliser, former et informer les salariés et les sous-traitants concernés, mais aussi de mettre en place des mesures appropriées pour les protéger », souligne Henri Bastos, précisant qu'actuellement, il n’y a aucune obligation d’étiquetage des médicaments permettant de prévenir les utilisateurs de leur caractère dangereux.
Si certaines entreprises sont sensibilisées aux précautions à prendre avec ces médicaments, via la médecine du travail notamment, d'autres ne le sont pas : « la réglementation peut aider à promouvoir les mesures de protection adaptées à ces substances mais aussi la surveillance médicale des professionnels », considère le directeur scientifique, ajoutant que la réglementation prévoit aussi des mesures spécifiques concernant par exemple les femmes enceintes et allaitantes.
* Direction de l'Animation de la recherche, des études et des statistiques
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