Pas moins de 35 types de cancers humains. Pour étudier l’effet des cellules dendritiques sur l’évolution des tumeurs, les scientifiques de l’unité Immunologie-Immunopathologie-Immunothérapie de l’Inserm – Sorbonne Université et de l’AP-HP n’ont pas mégoté. Les chercheurs ont rassemblé des milliers d’échantillons de tumeurs de patients et de modèles murins de cancer.
Pivots dans la régulation de la réponse immunitaire, les cellules dendritiques sont présentatrices d’antigène, capables de communiquer avec des lymphocytes T, afin d’initier une réponse adaptative, et des lymphocytes Treg, pour au contraire l’inhiber. Les cellules dendritiques peuvent également communiquer avec des cellules immunitaires innées comme les cellules NK (Natural Killer), impliquées dans la lutte contre les cellules cancéreuses.
Guillaume Darrasse-Jèze a dirigé cette étude publiée dans Cell Reports Medicine, dans la droite lignée de sa thèse menée sur le rôle des lymphocytes T régulateurs puis sur l'homéostasie des cellules dendritiques. « J'avais découvert qu'il y avait une relation importante entre les cellules dendritiques et les lymphocytes Treg, explique-t-il au Quotidien. Les cellules dendritiques sont les sentinelles de l’organisme qui permettent l’initiation de réponses immunitaires. En l’absence de signaux de danger, elles stimulent les lymphocytes Treg qui jouent un rôle dans le contrôle du système immunitaire et préviennent les maladies auto-immunes. »
Le taux du facteur de croissance FLT3-L joue sur l’abondance des cellules dendritiques
Un effet paradoxal
Pour la première étape des travaux codirigés avec Katrina Podsypanina (Memorial Sloan Kettering Cancer Center, New York), l’équipe a travaillé sur un modèle murin de mélanome. En modulant le nombre de cellules dendritiques par diverses méthodes (en particulier en modifiant le taux du facteur de croissance FLT3-L dont elles sont très dépendantes), les scientifiques ont constaté une activité immunitaire accrue contre la tumeur. Plus intrigant, le même phénomène était observé chez les souris présentant un déficit en FLT3-L.
Pour comprendre ce paradoxe, l’équipe a mis en évidence que la concentration en cellules dendritiques était positivement associée à la présence de cellules NK et de lymphocytes Treg. En l’absence de cellules dendritiques, les NK et les Treg disparaissent, tandis que les lymphocytes T augmentent en nombre et infiltrent les tumeurs. Au contraire, en présence d’un grand nombre de cellules dendritiques, des lymphocytes Treg sont recrutés et ils inhibent la réponse antitumorale. Mais la tumeur est éliminée par les cellules NK qui ont également augmenté en nombre.
Un effet qui se confirme chez l’homme
Les chercheurs ont ensuite analysé la survie avec les données transcriptomiques tumorales de plus de 10 000 patients (projets TCGA et Target de l’Institut national du cancer américain). Sur les 42 types de cancers étudiés, l’équipe a observé un effet significatif des cellules dendritiques sur la survie des patients pour 35 d’entre eux.
De plus, les patients avaient été classés en fonction de l'expression (faible, moyenne ou élevée) de l'ARNm codant pour FLT3-L. Comme chez la souris, la concentration tumorale pour le facteur de croissance était positivement associée à l’abondance de cellules dendritiques, de cellules NK et Treg. Trois types de corrélations ont alors été mis en évidence. La première est positive entre l'abondance des cellules dendritiques et l'allongement de la survie des patients : plus les cellules dendritiques sont abondantes dans l'environnement tumoral, moins le cancer croît. Cette première typologie se retrouvait dans 17 types de cancers (dont poumon, larynx ou vessie). La survie était encore meilleure chez les patients présentant à la fois une expression élevée de FLT3-L et une faible signature Treg, 70 % d’entre eux étant vivants à plus de 5 ans.
Deuxièmement, les chercheurs ont observé la situation complètement inverse, avec des tumeurs d'autant plus grosses que les cellules dendritiques étaient présentes en abondance. C'était le cas de sept types de cancers, dont les cancers de l'estomac. Le troisième cas de figure, correspondant au schéma paradoxal déjà décrit chez les souris atteintes de mélanome, est également présent dans la leucémie myéloïde aiguë, la tumeur de Wilms et le cancer du pancréas.
Les cellules dendritiques jouent sur deux tableaux
« Ces cellules dendritiques sont une arme à double tranchant dans les cancers », résume Guillaume Darrasse-Jèze. Dans certains environnements tumoraux, elles vont plutôt favoriser la réponse immunitaire innée des cellules NK, voire la réponse adaptative des lymphocytes T avec un effet négatif sur la croissance tumorale. C'est ce qui est observé dans la première typologie. Dans la seconde, les cellules dendritiques semblent surtout surstimuler les lymphocytes Treg, ce qui inhibe la réponse immunitaire adaptative antitumorale. Enfin, dans la troisième, les deux phénomènes cohabitent ce qui explique pourquoi le déficit comme l’excès de cellules dendritiques dans l’infiltrat tumoral a le même effet positif sur la survie des patients, médié dans un cas par l’absence de lymphocytes Treg, et dans l'autre par la suractivation des cellules NK.
Les chercheurs ont ensuite exploré davantage les effets antitumoraux observés dans leur modèle murin de mélanome, en couplant un traitement par FLT3-L avec des anticorps anti-CTLA-4 (ipilimumab censé bloquer la tolérance immunitaire induite par les lymphocytes Treg). Cette association prolonge davantage la survie des souris, par rapport à l'administration de FLT3-L seul. En revanche, la prise d'anti-CTLA-4 n'avait aucun effet synergique chez les souris génétiquement modifiées qui n’exprimaient pas FLT3-L. « Notre hypothèse est qu’en l’absence de cellules dendritiques chez ces souris, il y avait trop peu de lymphocytes Treg activés au niveau de la tumeur pour que le fait de les bloquer fasse une différence », explique Guillaume Darrasse-Jèze.
Le micro-environnement tumoral pourrait expliquer les différences de comportement des cellules dendritiques
Mieux comprendre l'immunothérapie
« L'immunothérapie est l’une des grandes révolutions récentes dans le traitement des cancers, poursuit le chercheur. Il est possible que l'on puisse s'appuyer sur l’évaluation des cellules dendritiques et des lymphocytes Treg pour comprendre pourquoi les traitements anti-CTLA-4 ou anti-PD-1 fonctionnent pour certains cancers et chez certains patients, et pas chez d'autres. » Il pourrait aussi être envisagé de coupler ces inhibiteurs de checkpoint ou même un des futurs vaccins thérapeutiques contre le cancer avec des activateurs de cellules dendritiques pour démultiplier l'efficacité du traitement.
Quant à connaître les causes précises des différences comportementales des cellules dendritiques, les chercheurs ne peuvent formuler pour l'instant que des hypothèses. « L'explication réside sans doute dans les différences de micro-environnement tumoral, suppose Guillaume Darrasse-Jèze. Certaines molécules peuvent agir directement sur les cellules dendritiques, ou sur les échanges entre cellules dendritiques, lymphocytes Treg et lymphocytes T effecteurs. » Une autre variable possible réside dans la diversité des mutations responsables de la tumorigenèse, qui diffèrent d'un cancer à l'autre. « Les tumeurs ayant le plus de mutations sont aussi les plus immunogènes, résume Guillaume Darrasse-Jèze. Il y a aussi la différence entre les tumeurs froides, avec peu d’infiltration leucocytaire, et les tumeurs chaudes, très infiltrées. »
P. Régnier et al., Cell Reports Medicine, déc 2023. vol 4, issue 12, 101256
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