Un patient de 87 ans est hospitalisé depuis six mois pour une dyspnée d’aggravation progressive et une altération de l’état général. Ses antécédents principaux sont d’une part, une tuberculose pulmonaire apicale gauche traitée dans les années 1950 par collapsothérapie, et d’autre part, une polyarthrite rhumatoïde (PR) immunopositive (facteur rhumatoïde et anticorps anti-CCP positifs) érosive, bien contrôlée sous méthotrexate.
Lors de son admission, l’anomalie majeure retrouvée à l’examen clinique est une abolition du murmure vésiculaire à l’apex pulmonaire gauche.
À la biologie, il existe une anémie normocytaire arégénérative, une CRP élevée à 87 mg/L, un profil électrophorétique en faveur d’un syndrome inflammatoire biologique. Par rapport à la normale, le taux de LDH est 1,5 fois supérieur et la β2-microglobuline est également augmentée de 2 fois.
Dans ce contexte, une radiographie du thorax est rapidement réalisée et met en évidence une masse apicale gauche radio-opaque, concordante avec l’anomalie auscultatoire (figure 1 ci-dessus). Cet examen est par la suite complété par un scanner thoracique, qui confirme la présence d’une masse tissulaire hétérogène développée aux dépens de la cicatrice de collapsothérapie apicale gauche (figure 2).

Un TEP-scanner vient compléter le bilan radiologique, et met en évidence un hypermétabolisme important de la masse apicale gauche (figure 3).

Un diagnostic de lymphome
Devant cet aspect suspect de malignité, une fibroscopie bronchique est réalisée, qui retrouve une obstruction complète du culmen par une masse tumorale nécrotique. La biopsie de cette lésion permet de poser le diagnostic de lymphome diffus à grandes cellules B. L’analyse immunohistochimique complémentaire revient positive pour l’Epstein-Barr virus (EBV).
Le méthotrexate est arrêté et une polychimiothérapie par R-mini-CHOP (rituximab, cyclophosphamide, hydroxyadriamycine, vincristine et prednisone) est initiée. L’évolution clinique est malheureusement défavorable et cette chimiothérapie est arrêtée du fait de la survenue de complications infectieuses sévères et d’une absence de réponse du lymphome à ce traitement. Le patient décède quelques semaines plus tard.
Une complication rare à évoquer en cas de syndrome inflammatoire important
La PR fait partie des trois rhumatismes auto-immuns à risque de survenue de lymphome B non-hodgkiniens (LNH), les deux autres étant le syndrome de Sjögren et le lupus1. En effet, il a été démontré que le risque de LNH au cours de la PR est deux fois supérieur à celui de la population générale. Le type histologique le plus communément retrouvé est le lymphome diffus à grandes cellules B, un lymphome dit « agressif » (1).
L’activité de la PR semble jouer un rôle important dans la genèse du lymphome. Ainsi, les patients ayant une PR très active ont un risque 25 fois plus élevé de développer un LNH comparé aux patients ayant une PR bien contrôlée (2). Le fait que cette activité soit importante et soutenue dans le temps constitue également un facteur de risque de développer un LNH (3). Une étude française récente a pu confirmer que l’activité de la maladie était associée au risque de lymphome (4). Par ailleurs, dans cette étude cas-témoins incluant 54 cas et 108 témoins, les autres facteurs associés à la survenue d’un lymphome au cours de la PR étaient l’immunopositivité et la présence d’érosions radiographiques, le premier étant un facteur de mauvais pronostic de la PR et le second le reflet d’une activité importante et mal contrôlée.
Paradoxalement, le rôle de certains traitements de fond de la PR a été suspecté et discuté au cours des dernières décennies. Bien que permettant un meilleur contrôle de l’activité de la maladie, ces traitements ont un effet immunomodulateur. Or, certains cas de LNH décrits sous méthotrexate présentaient des caractéristiques proches des lymphomes des sujets immunodéprimés, et notamment la caractéristique d’être EBV+ (5). En outre, certains lymphomes régressaient à l’arrêt du méthotrexate. Néanmoins, que ce soit pour le méthotrexate ou les biothérapies, de récentes études, réalisées sur un plus grand nombre de sujets et avec de plus longues durées d’exposition, ne mettent pas en évidence d’association entre le LNH et les traitements de la PR (6). De plus, ces traitements étant prescrits chez des patients ayant des PR dont l’activité inflammatoire est plus difficile à contrôler, leur éventuelle association avec le LNH pourrait donc être due à un biais d’indication.
Comme pour les lymphomes en population générale, le pronostic et la prise en charge thérapeutique des LNH compliquant la PR dépendent du stade de la maladie, du type histologique du lymphome, et de l’état général du patient.
Bien qu’il s’agisse d’une complication systémique rare de la PR, il convient d’évoquer un diagnostic de LNH devant toute altération de l’état général et tout syndrome inflammatoire biologique important chez des patients atteints de ce rhumatisme.
Service de Rhumatologie, Hôpital de Bicêtre, AP-HP, Le Kremlin-Bicêtre
(1) Smedby, K.E., Hjalgrim H, Askling J, et al. Autoimmune and chronic inflammatory disorders and risk of non-Hodgkin lymphoma by subtype. J Natl Cancer Inst, 2006. 98(1): p. 51-60.
(2) Baecklund E, Ekbom A, Sparén P, et al. Disease activity and risk of lymphoma in patients with rheumatoid arthritis: nested casecontrol study. BMJ. 1998 Jul 18;317(7152):180-1.
(3) Baecklund, E, Iliadou A, Askling J, et al. Association of chronic inflammation, not its treatment, with increased lymphoma risk in rheumatoid arthritis. Arthritis Rheum, 2006. 54(3): p. 692-701.
(4) Kedra J, Seror R, Dieudé P, Constantin A, Toussirot E, Kfoury E et al. Lymphomes compliquant une polyarthrite rhumatoïde : résultats d’une étude cas-témoins multicentrique nationale. Abstract O.21, congrès de la Société Française de Rhumatologie 2019.
(5) Kamel OW, van de Rijne M, Weiss LM, et al. Brief report: reversible lymphomas associated with Epstein-Barr virus occurring during methotrexate therapy for rheumatoid arthritis and dermatomyositis. N Engl J Med. 1993 May 6;328(18):1317-21.
(6) Seror R, Lafourcade A, De Rycke Y, et al. Risk of malignancies across biologic classes in rheumatoid arthritis: analysis of a national claim database. Arthritis Rheumatol. 2019;71(Suppl 10).
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