Qu'est ce que le « trouble du jeu vidéo » ?
Selon la version provisoire de la 11e classification des maladies de l'OMS, qui doit être publiée en juin prochain, il s'agit d'un comportement « persistant ou récurrent qui se manifeste par une perte de contrôle vis-à-vis à vis du jeu vidéo, une priorité croissante donnée au jeu au détriment des autres centres d'intérêt et des activités quotidiennes et une poursuite de l'augmentation de la pratique du jeu vidéo malgré une prise de conscience par le patient des conséquences négatives de sa pratique excessive ». Ces troubles doivent durer une période d'au moins un an. Cette reconnaissance d'un symptôme équivaut-elle à une reconnaissance de la très débattue addiction aux jeux vidéo ?
« On ne peut pas traduire directement le texte de l'OMS par "addiction aux jeux vidéo" », répond Le Pr Bruno Rocher du service d'addictologie du CHU de Nantes et membre de l'institut fédératif des addictions comportementales. Pour cet auteur d'une thèse « addiction aux jeux vidéo : mythe ou réalité ? », le texte de l'OMS permettra de « reconnaître la petite frange de joueurs excessifs dont il faut être capable de s’occuper. Sans les qualifier de dépendant aux jeux vidéo, je trouve que la spécialité addictologie leur est bien adaptée. »
Le Dr Olivier Phan, qui s'occupe de la consultation jeunes consommateurs du CSAPA Pierre Nicole, à Paris, voit dans l'initiative de l'OMS, « une volonté de rattacher la pratique excessive du jeu vidéo à l'addictologie », ce qu'il juge cohérent avec ses observations en clinique : « Nous ne pouvons pas en faire que le symptôme de problèmes sous jacent, précise-t-il. Dans certains cas, il s'agit d'un symptôme tellement invalidant qu'il devient le principal problème. Nous commençons à voir apparaître des "Hikikomori" français. Des cas d'isolement extrême de jeunes qui restent dans leur chambre et restent 24h sur 24 sur les écrans », s'alarme-t-il.
Usages labiles
Pour le Dr Marc Valleur psychiatre au centre médical Marmottan, « la position de l'OMS est intéressante, car elle est plus volontaire que celle du DSM (le manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux publié par l'Association américaine de psychiatrie N.D.L.R) qui avait mis l'addiction aux jeux vidéo en ligne "en attente" de nouvelles données ». Le débat est loin d'être tranché : en septembre dernier, une publication de l'université de Cardiff sur 5 777 personnes montrait que la pratique intensive du jeu vidéo n'avait pas d'impact sur la santé. « Les usages problématiques de jeu vidéo sont très labiles, poursuit le Dr Valleur, ils s'arrêtent souvent au bout d'un moment sans soutien thérapeutique. »
Au-delà de la seule question du jeu vidéo, le Dr Valleur est en désaccord avec la volonté de trier les substances et les comportements addictifs et non addictifs. « Il n'y a pas d'un côté les produits innocents et de l'autre des produits qui rendent addicts, estime-t-il. On peut développer des troubles de l'usage pour n'importe quelle activité ou substance. La définition de l’addiction est trop basée sur la toxicité de la substance, poursuit-il, on ferait mieux d’avoir une définition large de l’addiction, et de travailler patient par patient. Si quelqu'un prétend être addict au sudoku, on ne va pas le renvoyer chez lui sous prétexte qu'il ne rentre pas dans les classifications. »
Quelle ampleur du phénomène ?
Du propre aveu de Tarik Jasarevic, porte-parole de l'OMS, « le trouble du jeu vidéo est un concept assez nouveau et les données épidémiologiques dans la population n'ont pas été rassemblées. » Pour le Dr Valleur, le trouble de l'usage du jeu vidéo n'est « pas un raz de marée ». Dans sa consultation, le Pr Rocher fait quant à lui état d’« un à deux nouveaux cas par mois, sachant que nous sommes un service très reconnu dans la région et que l'on nous adresse des patients de Renne ou de Saint Malo ». Le Dr Olivier Phan a lui vu le phénomène s'intensifier au fil des années à Paris : « sur les 400 jeunes de notre file active, 200 sont là pour des problématiques liées au jeu vidéo excessif » dénombre-t-il.
Le phénomène pourrait s'amplifier avec certaines nouvelles pratiques des éditeurs de jeu vidéo qui tendent à proposer des mécaniques voisines de celles du jeu d'argent. Ainsi le phénomène des « loot box » propose aux joueurs de certains jeux comme Star Wars Battlefront de joueurs de payer, à l'intérieur même du jeu, pour se porter acquéreur d'accessoires cosmétiques pour leur avatar, d'améliorations de leurs armes ou de bonus de points d'expérience. Cette possibilité offerte de se différencier d'un adversaire, voire de la battre plus facilement en investissant de l'argent réel est surnommée le « pay to win » (payer pour gagner). « On est dans un univers marchant dont les nouvelles pratiques auront un impact, explique le Dr Valleur, avec le "pay to win", on arrive à des frontières floues et poreuses entre jeu vidéo et jeux d’argent. »
Pour l'ensemble des experts consultés par « Le Quotidien », la reconnaissance de l'addiction aux jeux vidéo dans le CIM sera surtout un enjeu dans les pays comme les États Unis ou les traitements sont financés par les assurances privées, qui ont besoin qu'une pathologie chronique soit définie pour qu'elle rentre dans le cadre de leur contrat de remboursement. « Cela peut aussi changer la pratique des services d'addictologie peu habitués aux addictions comportementales » conclut le Pr Rocher.
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