LE QUOTIDIEN : Comment analysez-vous la hausse de la consommation du cannabis observée après la légalisation aux États-Unis ?
IVANA OBRADOVIC : Il faut d’emblée préciser que, si la consommation augmente chez les adultes, elle tend à baisser chez les mineurs. C'est d'ailleurs l'un des objectifs de la légalisation que de les protéger. Aux États-Unis, les plus jeunes ne peuvent pas accéder aux magasins proposant du cannabis et ils s’en procurent aussi moins de façon illicite. Leurs niveaux de consommation sont donc en baisse dans tous les États qui ont légalisé le cannabis, alors même que le produit est « normalisé » dans les représentations sociales.
On ne saurait cependant affirmer que cette baisse est directement imputable à la légalisation, car il s’agit d’un mouvement général retrouvé dans des pays qui n’ont pas légalisé le cannabis, notamment en Europe. Les adolescents tendent à se détourner du cannabis, que le produit soit légal ou pas.
Aux États-Unis comme au Canada, légaliser le cannabis est associé à une plus grande disponibilité du produit, accessible sous différentes formes (qui se fument, qui s’ingèrent, qui se vapotent, etc.), et dont la composition est plus contrôlée. De ce fait, les consommateurs occasionnels ont tendance à se tourner vers une plus grande variété de produits et un peu plus fréquemment.
Certaines tranches d’âge sont particulièrement concernées par l’augmentation de la consommation : les jeunes adultes et les seniors, qui sont ciblés par des messages marketing sur les douleurs, les problèmes de sommeil et les maux liés au vieillissement.
À quoi peut-on attribuer la baisse de la consommation des mineurs ?
Il est tentant de les mettre sur le compte d’un changement de législation, mais ce n’est pas toujours le cas. Les jeunes générations actuelles passent probablement plus de temps sur les réseaux sociaux et sur leurs smartphones, avec moins d’occasions de sortie et de consommation de cannabis que leurs aînés. Ce changement des sociabilités juvéniles est une des hypothèses explorées à l’OFDT. Par ailleurs, le cannabis étant souvent consommé avec du tabac, on peut penser que la baisse de l’usage de cannabis est en partie liée à la baisse concomitante et très nette du tabagisme.
Comment analysez-vous l’alerte canadienne sur les intoxications pédiatriques ?
C’est un phénomène récurrent rapporté dans les premières années suivant une réforme de légalisation. Une alerte similaire avait été lancée dans l’État du Colorado, en 2014, où plusieurs cas avaient été recensés après l’ingestion de produits alimentaires à base de cannabis. Par la suite, les États qui ont légalisé ont déployé des campagnes de prévention, des messages sanitaires et des recommandations aux parents pour éviter que les produits à base de cannabis ne soient accessibles aux enfants, par exemple en veillant à les conserver dans des lieux sûrs comme des armoires en hauteur ou dans des lieux fermés à clé. Toute une vague d’intoxication d’animaux domestiques qui avaient ingéré des produits alimentés infusés au cannabis avait aussi été très médiatisée.
Quel bilan tirer de la dépénalisation des usages de toutes les drogues introduite au Portugal il y a 20 ans ?
La loi portugaise ne traite pas comme un délit pénal le fait de consommer ou d’être en possession de petites quantités de drogues illicites. Elle prévoit des sanctions administratives et une orientation vers les soins en cas d’usage jugé problématique. C’est le premier pays à avoir adopté cette approche de réduction des risques avec un tropisme sanitaire aussi marqué.
On a tendance à penser que c’est une sorte de révolution, mais il faut rappeler que le Portugal a mené depuis les années 1980 diverses initiatives d’accompagnement des usagers de drogues. La loi de 2000 est le point d’aboutissement d'une approche politique cohérente et soutenue dans la durée.
Cette réforme est avant tout une réponse à une épidémie d’héroïne. Les usagers, très visibles dans l’espace public, avec une consommation ouverte en plein centre-ville, constituaient un facteur d’insécurité. Les pouvoirs publics se sont saisis de la situation avec des mesures volontaristes. L’introduction de la loi a entraîné une baisse drastique des contaminations VIH par voie intraveineuse et une forte diminution de la mortalité liée aux consommations d’opiacés.
Quant au cannabis, le Portugal n’a jamais connu des niveaux de consommation très élevés, comme en France, en particulier chez les jeunes. Après 20 ans de recul, la consommation de cannabis suit les tendances européennes, tout en restant inférieure à la moyenne communautaire.
(1) S. Zellers et al, Addiction, 2022. doi: 10.1111/add.16016
(2) D. Myran et al, N Engl J Med, 2022. DOI: 10.1056/NEJMc2207661
« Des trous dans la raquette ! » : la revalorisation des actes techniques laisse déjà les spécialistes sur leur faim
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024