Opioïdes dans les douleurs chroniques non cancéreuses

Encadrer leur usage

Publié le 19/02/2015
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La consommation de morphine est stable; celle de tramadol et de fentanyl  augmente

La consommation de morphine est stable; celle de tramadol et de fentanyl augmente
Crédit photo : PHANIE

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la consommation d’opioïdes à visée analgésique a-t-elle évolué ces dix dernières années ? Aurore Palmaro et al. a présenté un poster (1) sur la consommation d’analgésiques opioïdes en Europe de 2002 à 2012. Jusqu’en 2009, la consommation globale (exprimée en dose définies journalières pour 1 000 habitants et par jour : DID) augmente légèrement. La France est le plus gros consommateur d’opioïdes en Europe, « mais on additionne ici les opioïdes forts et faibles (environ 50 DID, dont 50 à 70 % de dextropropoxyphène), et l’on peut raisonnablement penser que la consommation d’opioïdes forts est plus importante dans les pays d’Europe du Nord », remarque le Pr Serge Perrot. Au retrait des spécialités à base de dextropropoxyphène la consommation d’opioïdes chute (-43 % en France). Depuis, si en Europe la consommation de morphine reste stable, celle de tramadol et de fentanyl augmente : le tramadol particulièrement en Belgique, au Danemark et en France (où il représente 50 % de la consommation d’analgésiques opioïdes en 2012) ; le fentanyl particulièrement aux Pays-Bas (+65 % de 2005 à 2012 : 2,3 à 3,8 DID), « posant bien sûr plus de problèmes en terme de risque addictif et de mésusage », note le Pr Perrot.

15 recommandations de la SFETD

Dans quel contexte la SFETD s’apprête-t-elle à publier en 2015 ces recommandations sur les opioïdes forts dans les douleurs chroniques non cancéreuses ? Aux États-Unis la consommation de morphiniques a été multipliée par un facteur 10 en 20 ans. Abus, addictions, mésusages, effets secondaires allant jusqu’aux décès (12 000 en 2007) ont ému l’opinion publique et conduisent à restreindre les prescriptions. En Europe le retrait du dextropropoxyphène s’est suivi d’une réorientation des prescriptions vers des substances plus addictives.

« Les 15 recommandations de la SFETD sont courtes, claires et consensuelles. Leur force et leur originalité sont de concerner la prescription d’opioïdes dans les douleurs chroniques non cancéreuses indépendamment de l’origine de la douleur », indique le Dr Valéria Martinez, coordinatrice du groupe de pilotage. Elle souligne le manque d’études cliniques sur une prescription au long cours dans les douleurs chroniques et l’exclusion des patients à risque d’addiction dans les études publiées. « Nous avons cherché à guider la prescription d’opioïdes forts par les généralistes et les spécialistes exerçant en ville afin d’améliorer efficacité et sécurité de la prise en charge. Les recommandations précisent les bénéfices, posologies, indications et non-indications : maladies dysfonctionnelles telles la fibromyalgie, les céphalées primaires, notamment la migraine, ainsi que les risques et précautions de leur prescription dans des douleurs chroniques », note le Dr Martinez.

Ces recommandations de bonnes pratiques par consensus formalisé d’experts ont employé une méthodologie d’analyse et de synthèse GRADE et s’appuient sur la méthodologie HAS 2010. Deux groupes indépendants ont participé à la rédaction : le groupe pilotage pluridisciplinaire a synthétisé la littérature reposant sur 34 méta-analyses… et niveaux de preuve, le groupe de cotation (15 experts de la douleur) a réalisé une cotation sur vote à deux tours des propositions de recommandations suggérées par le groupe de pilotage. Ces propositions de recommandations ont été présentées en séance plénière au congrès de la SFETD 2014. « Les quelques 1 000 participants, médecins, infirmiers et patients, ont débattu avant la cotation. Prendre leur avis avant de publier des recommandations est inhabituel et mérite d’être souligné, note la Dr Virginie Piano, membre du groupe de pilotage. Des débats sont sortis la nécessité d’insérer des guides pratiques (Quand adresser le patient en consultation de prise en charge de la douleur chronique ? Quand et comment arrêter le traitement ? Comment évaluer le risque d’addiction ?), un tableau d’équi-analgésie (équivalences de doses entre les différents analgésiques opioïdes) et des fiches d’information patients ».

La Dr Virginie Piano rappelle que « la prescription de morphiniques dans les douleurs chroniques nécessite une évaluation globale du patient et la recherche de facteurs de risques de mésusage ou d’addiction à l’initiation du traitement mais aussi chaque fois que l’on revoit le patient ». Elle conclut sur l’importance d’« aider une prescription responsable, scientifiquement étayée pour éviter d’éventuels déremboursements et retraits de traitements qui limitent l’arsenal thérapeutique dans l’indication de douleur chronique ».

Les recommandations sont en cours de relecture par un groupe pluridisciplinaire et pluriprofessionnel afin de vérifier leur applicabilité en pratique courante. Les nouvelles recommandations de la SFETD devraient être publiées dans le courant 2015 sur son site (ongletsdouleur/traitements/recommandations/opioïdes) et dans les journaux professionnels.

Éduquer les patients, une nécessité

« Dans les douleurs chroniques traitées par analgésiques opioïdes, les risques d’addiction et de mésusages font toute l’importance d’une éducation des patients », explique le Pr Serge Perrot. D’où l’intérêt de l’outil d’éducation thérapeutique ciblé sur les opioïdes pour les patients douloureux chroniques élaboré par le cercle d’étude de la douleur en rhumatologie (CRDR) et présenté au congrès de la SFETD dans un poster de Dominique Perocheau et al.(2) Un groupe de travail a effectué une enquête auprès des patients et analysé des forums internet afin d’identifier les croyances, peurs, mésusages… Pour y remédier, l’outil d’éducation thérapeutique choisi est un jeu de cartes, à utiliser en groupe ou en consultation individuelle.

Une situation clinique pratique parmi les 12 que comporte le jeu est proposée au patient. Il doit la résoudre de la façon la plus directe et appropriée possible en choisissant une ou des cartes réponses au verso desquelles figurent les conséquences. Il peut ainsi être établi un score d’aptitude (selon que les cartes choisies sont appropriées ou non) et un score de résolution (selon le nombre de cartes utilisées pour arriver à la meilleure solution). Le jeu est à disposition sur demande auprès des auteurs du poster.

D’après des entretiens avec le Dr Valéria Martinez (hôpital Raymond-Poincaré, Garches), le Dr Virginie Piano ( hôpital La Timone, Marseille et secrétaire générale de la SFETD), le Pr Serge Perrot, (hôtel-dieu, Paris)

 

(1) Palmaro A. et al SFETD 2014 Poster TO098

(2) Perocheau D etal SFETD 2014 Poster TO100


Dr Sophie Parienté

Source : Congrès spécialiste