L’AMÉLIORATION considérable qui a eu lieu en matière de thérapeutique anticancéreuse a augmenté la durée de vie des patients qui peuvent aujourd’hui survivre avec une altération importante de leur qualité de vie et des douleurs rebelles. Par ailleurs, les traitements du cancer peuvent induire des douleurs séquellaires non négligeables. « La prise en charge de la douleur doit être une priorité » estime le Dr Sophie Laurent.
Dans ce domaine, les opioïdes restent la base du traitement et le traitement de fond repose toujours sur quatre molécules anciennes : sulfate de morphine, oxycodone, hydromorphone et fentanyl. « À part une nouvelle molécule disponible aux États-Unis, le tapentadol (agoniste des récepteurs aux morphiniques µ et inhibiteur de la recapture de la noradrénaline) qui devrait être prochainement disponible, l’innovation a surtout consisté en des formes galéniques nouvelles ». Ainsi, de nombreuses formes de fentanyl d’action rapide sont apparues : Actiq, comprimé avec applicateur buccal, Abstral et Effentora, comprimés sublinguaux, Instanyl (et prochainement PecFent), solutions par voie nasale. Cependant, ces formulations sont d’indication limitée dans les accès douloureux paroxystiques et ne remplacent pas les interdoses d’opioïdes classiques : Oramorph (sulfate de morphine) et Oxynorm ou Oxynormoro (oxycodone).
D’autres opioïdes sont utilisés hors AMM par des centres spécialisés : le sufentanil, dérivé du fentanyl et de sept à dix fois plus puissant, est employé en anesthésie et aussi comme antalgique. La méthadone, indiquée dans les pharmacodépendances aux opiacés, est préconisée dans les douleurs chroniques et les douleurs cancéreuses dans certains pays. En France, bien qu’elle soit incluse dans une recommandation de l’AFFSAPS de juin 2010 « dans les douleurs rebelles en situation palliative avancée chez l’adulte », elle doit encore être « déstigmatisée » pour pouvoir être utilisée dans les douleurs cancéreuses.
Les médicaments co-antalgiques
Des avancées ont été observées avec les co-antalgiques, médicaments ayant une autre indication (anesthésie, épilepsie, dépression…), mais qui ont aussi une action sur la douleur et renforcent l’action des antalgiques proprement dits.
Des résultats intéressants ont été obtenus dans les douleurs cancéreuses avec des médicaments indiqués dans les douleurs neuropathiques. C’est le cas d’anesthésiques locaux comme la lidocaïne en emplâtre à 5 % (Versatis) indiquée dans les douleurs postzostériennes et qui s’est révélée avoir une bonne efficacité sur les douleurs séquellaires superficielles. La kétamine, qui vient aussi de l’anesthésie, est utilisée pour les douleurs cancéreuses rebelles uniquement par des équipes hospitalières spécialisées. La famille des gabapentinoïdes (antiépileptiques) a un intérêt pour les douleurs neuropathiques et aussi pour les douleurs de métastases osseuses. Les cannabinoïdes sont souvent évoqués dans la douleur du cancer. Ainsi Sativex, qui est disponible dans quelques pays européens (Grande-Bretagne, Espagne) ainsi qu’aux États-Unis et au Canada a démontré une efficacité sur les douleurs cancéreuses. « Son effet peut être intéressant pour les symptômes intriqués tels que la perte d’appétit mais son effet antalgique reste très limité, estime le Dr Laurent. Utile en soins palliatifs, il ne semble pas pouvoir être mis en balance avec les opioïdes. »
L’efficacité d’antidépresseurs récents dans des douleurs neuropathiques liées au diabète ou au zona n’est pas supérieure à celle d’anciens antidépresseurs comme l’amitriptyline (Laroxyl) et leur tolérance diminue aux fortes doses nécessaires pour traiter la douleur.
Une autre piste a été fournie par la recherche des mécanismes de la douleur sur des modèles expérimentaux de douleur de métastases osseuses ou induite par les chimiothérapies. Issues de ces recherches, plusieurs molécules anti-NGF (nerve growth factor) sont en phase II, mais ont, malheureusement, des effets secondaires importants.
Une autre approche est de modifier la voie d’administration des opioïdes afin d’augmenter les concentrations efficaces tout en limitant les effets secondaires. À côté des pompes auto-contrôlées implantées en intraveineux ou en sous-cutané, des techniques d’analgésie par voie péridurale ou intrathécale sont à l’étude pour administrer morphiniques et co-antalgiques. Ainsi, la clonidine a, en intrathécal, un effet analgésique par action centrale sans avoir d’effet antihypertenseur. Le ziconotide (Prialt) est un nouveau médicament ayant une AMM « sous circonstances exceptionnelles ». Antagoniste des canaux calciques de type N, il interrompt la douleur au niveau rachidien et est uniquement administré en intrathécal.
Les techniques de prise en charge de la douleur.
L’utilisation de techniques chirurgicales, de radiologie interventionnelle, de radiothérapie ou d’association de ces techniques dans la prise en charge des douleurs cancéreuses est une voie de recherche très importante. « Cette approche pluridisciplinaire est complexe ; une réflexion commune peut cependant permettre d’améliorer nettement, pendant plusieurs mois, les patients souffrant de douleurs de métastases osseuses, de fractures pathologiques ou de masse invasive » souligne Sophie Laurent. « À l’institut Gustave Roussy, nous avons conçu une RCP (réunion de concertation pluridisciplinaire) à laquelle participent des médecins spécialistes de la douleur, des radiologues interventionnels, des radiothérapeutes et des chirurgiens orthopédistes, afin de décider rapidement de la meilleure technique à mettre en place pour soulager un patient. » À cet égard, les techniques de radiologie interventionnelle sont nombreuses : cimentoplastie, radiofréquence, cryothérapie, embolisation, alcoolisation… et évoluent rapidement. Elles doivent être adaptées au malade en fonction de la localisation et du type de la tumeur, de la taille de l’atteinte… « Si plusieurs sont nécessaires, il faut déterminer l’ordre dans lequel elles seront appliquées. Nous sommes toujours guidés en cela par les douleurs ressenties par le patient et par les lésions qui les provoquent. »
Des techniques non médicamenteuses et non invasives comme la sophrologie, l’hypnose, la relaxation, les méthodes cognitivo-comportementales… peuvent également aider le patient à « faire avec » la douleur. En effet, les douleurs d’origine cancéreuse peuvent être réfractaires et devenir tellement envahissantes qu’elles ont un impact majeur sur le quotidien du patient qui est alors « débordé » par la souffrance. Ces approches permettent d’éviter ce « débordement » et de rendre le traitement plus efficace. Enfin, d’autres stratégies validées, acupuncture, auriculothérapie, neurostimulation transcutanée externe…, favorisent la modulation des systèmes sensoriels qui interviennent dans la douleur. Elles ne constituent pas le cœur du traitement, mais peuvent être intéressantes en cas de douleurs séquellaires.
D’après un entretien avec le Dr Sophie Laurent, Institut Gustave-Roussy, Villejuif.
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