La Roche-Jaudy est une commune de 2 713 habitants, située à équidistance de Lannion et Guingamp, dans les Côtes d’Armor. Territoire breton où, depuis mai 2024, quelque 55 édiles ont pris des arrêtés symboliques mettant l’État en demeure « d’initier dans les plus brefs délais un plan d’urgence pour l’accès à la santé […] ». Sans quoi l’État devrait payer 1 000 euros par jour de retard d’application de ces mesures…
L’un de ces élus est Jean-Louis Even, maire de gauche de La Roche-Jaudy depuis 18 ans. Il a été informé, par ses quatre médecins installés dans un bâtiment loué à la mairie, de la réforme imminente de la quatrième année d’internat de médecine générale. Bingo ! Dès novembre 2026, deux des 100 futurs docteurs juniors de l’université de Brest pourraient être accueillis sur place, permettant de faire 6 000 consultations annuelles en plus des 20 000 déjà effectuées par ses praticiens (lesquels ont une patientèle de 72 communes).
À force de vouloir rentrer dans des moules, on devient des quiches !
Jean-Louis Even, maire de La Roche-Jaudy
Problème : le cabinet médical des Sorbiers, loué aux quatre praticiens, manque d’une salle pour accueillir un docteur junior et son bâtiment, situé sur une parcelle trop exiguë, ne peut pas être agrandi. Alors, en concertation avec les médecins et les communes voisines de Langoat et Troguéry, la mairie a acquis l’ancien funérarium, qu’il faut réaménager pour disposer de 200 m2. Le projet est chiffré à 600 000 euros.
Après avoir contracté un prêt, Jean-Louis Even s’est donc mis à « la chasse aux subventions » en 2023 et 2024, pour amortir les frais et équilibrer les loyers… Sans succès. Car ni l’agence régionale de santé (ARS), ni le département, ni l’agglomération n’ont souhaité lui octroyer un centime pour l’aider dans cette initiative. Tous, selon le maire, reprochent aux médecins de la structure de ne pas être une maison de santé pluriprofessionnelle (MSP). « À force de vouloir rentrer dans des moules, on devient des quiches ! C’est révoltant et sans aucun sens, tandis que ce projet profiterait à tout le territoire ! Si on loupe le coche, ces docteurs juniors iront ailleurs et on ne les retrouvera jamais ! », s’agace-t-il, tandis qu’il leur demandait 60 000 euros.
L’ARS demande de l’exercice coordonné
Contactée par Le Quotidien, l’ARS Bretagne reconnaît avoir « effectivement émis un avis réservé sur la demande de subvention déposée par la commune dans le cadre de la campagne “Dotation d’équipement des territoires ruraux” », précisant qu’elle n’est pas « financeur de projets immobiliers au profit des professionnels de santé de ville ». Toutefois, dans le cadre de la coordination des politiques publiques, elle est « sollicitée de manière systématique pour avis par les financeurs ». Après une demande de précision, il a bien été confirmé au Quotidien que cet avis réservé exprimé par l’agence « tenait bien compte du fait que la commune voulait accueillir des docteurs juniors ».
Car pour apprécier la pertinence d’un projet à subventionner, l’ARS Bretagne affirme qu’elle « défend l’existence sur le site d’une dynamique d’exercice coordonnée labellisée (de type maison de santé pluriprofessionnelle, équipe de soins primaires, centre de santé) et, conformément au code de la santé publique, formalisée à travers un projet de santé ». Ce qui, développe-t-elle encore, « garantit un certain niveau d’attractivité et de pérennité du site subventionné ». Avant de conclure qu’elle « reste ouverte au dialogue avec les services de la collectivité et avec les médecins pour accompagner un projet éventuel d’exercice coordonné susceptible de faire levier ». Pour l’instant, le projet de la commune ne coche donc pas les cases requises…
Construire un préfabriqué sur le parking ?
L’un de ces quatre généralistes, également maître de stage universitaire (MSU) accueillant chaque année trois internes et des externes, explique que « le fait de ne pas être une MSP est un choix ! Nous ne comprenons pas en quoi il y a un lien avec l’accueil de docteurs juniors… » Reste qu’aujourd’hui, « il manque 20 m2 pour accueillir correctement un stagiaire », avance le médecin. Et si le financement n’est pas trouvé, « nous pourrions construire un préfabriqué sur le parking, lâche-t-il. Car si nous ne prenions pas de docteur junior, tout le monde serait perdant ».
D’autres problèmes logistiques se posent, comme celui d’aménager une autre salle de pause, « pour ne pas manger sur son bureau » ou celui du logement de ces futurs internes en fin de cursus. Mais, surtout, remarque-t-il, l’accès aux soins devient très problématique. « Lorsqu’on veut construire quoi que ce soit, les délais atteignent en général 18 mois ! Les docteurs juniors sont attendus pour novembre 2026… À croire que personne n’a réfléchi à la mise en œuvre de cette réforme… », soupire-t-il.
Ce n’est pas le président de l’Isnar-IMG (internes de médecine générale), Bastien Bailleul, qui le contredira. « Accueillir un docteur junior dans un préfabriqué est irrespectueux, à la fois pour lui, mais aussi pour les patients. Et cela donne l’impression qu’après dix ans d’études, nous ne sommes vus que comme de la main-d’œuvre pas chère ! Même si on nous force, nous n’irons pas faire cette année dans des préfabriqués ! Nous souhaitons de bonnes conditions de travail, au plus près de notre exercice futur », confie-t-il, remonté. Et de lâcher : « Cette 4A est le triste révélateur de l’état de la médecine ambulatoire en France… »
Des témoignages d’habitants désespérés
Pénurie de dermatologues, d’ophtalmologues, de psychiatres, pédiatres, dentistes, kinés… : le bassin de vie de cette commune des Côtes d’Armor fait face à de dramatiques difficultés d’accès aux soins. En témoigne un sondage, lancé par ses soins, directement dans les boîtes aux lettres de ses administrés en décembre dernier. La question est simple : « Avez-vous déjà rencontré des difficultés pour accéder aux soins, oui ou non ? », avec aussi un espace libre de témoignage. Avec plus de 50 réponses, que Le Quotidien a pu consulter, les citoyens de la commune expriment une détresse chronique.
Beaucoup d’entre eux témoignent de l’impossibilité de trouver un médecin ou un dentiste acceptant de nouveaux patients ; une mère de famille d’une ado anorexique de 14 ans raconte avoir mis un an pour lui obtenir une place dans un service psychiatrique ; une autre confie avoir passé près de 180 appels avant d’obtenir un rendez-vous ophtalmologique pour sa fille de six ans ; pour un rendez-vous d’urgence chez le dentiste, une résidente d’Ehpad écrit être allée jusqu’en région parisienne pour être prise en charge…
Des Grenelle locaux sur la santé
De quoi encourager cet édile à réclamer un Grenelle national de la santé, accompagné de déclinaisons locales, car les maires sont de fait en première ligne. « Selon moi, quand un sujet concerne un habitant, c’est la compétence du maire ! », s’exclame-t-il, au téléphone. « Quand il faut recruter un médecin, un infirmier ou un aide-soignant, c’est nous ! Quand il faut financer un cabinet ou un Ehpad, c’est nous ! Quand, lors d’un problème nucléaire, il faut distribuer des pastilles d’iode, c’est nous ! Ou encore, quand la population a besoin de masques lors du Covid-19… C’est encore nous ! », argumente-t-il, bien décidé à mettre en coup de pied dans la fourmilière.
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