Article réservé aux abonnés
Dossier

Santé des soignants : les connaissances s’améliorent, maintenant place aux actes

Par Aurélie Dureuil - Publié le 23/05/2025
Santé des soignants : les connaissances s’améliorent, maintenant place aux actes

Plus d’un soignant sur deux déclare ressentir fréquemment de l’anxiété, du stress ou une charge mentale excessive
GARO/PHANIE

Deux ans après le lancement officiel du chantier ministériel sur la santé des soignants, les travaux avancent. Un colloque mi-avril a permis de dresser le diagnostic mais aussi partager des initiatives mises en œuvre. Une dynamique collective qui doit maintenant être généralisée auprès de l’ensemble des professionnels de santé.

« Dresser un état des lieux de l'état de santé des soignants, identifier leurs besoins et les pistes pour construire de futures actions de prévention », tels étaient les objectifs du chantier lancé début 2023 par Agnès Firmin Le Bodo alors ministre en charge des Professions de santé. Deux ans plus tard, un colloque organisé au ministère par la Drees et la Fondation MNH* a permis de partager de premiers résultats des travaux menés – notamment à partir de la base EDP-Santé « enrichissement de l’échantillon démographique permanent (EDP) par les données du système national des données de santé (SNDS) » –, d’initiatives mises en place et de pistes d’actions. Avant une généralisation ?

Alertes sur la santé mentale, mais pas que…

Car il y a urgence, comme en témoignent de nombreux chiffres. Plus de 7 000 demandes d’aide et de soutien ont été déposées sur la plateforme Soins aux professionnels de santé (SPS) l’année dernière, soit 16 % de plus qu’en 2023. Plus d’un soignant sur deux déclare ressentir fréquemment de l’anxiété, du stress ou une charge mentale excessive en raison de son travail, selon l’Observatoire MNH – Odoxa publié début mai 2025. Et il n’y a pas qu’en matière de santé mentale que les alertes font jour. Déjà en 2023, l’alerte était là. Selon l’enquête menée par le ministère, 63 % des blouses blanches estimaient que leur état de santé n’était pas bon (réponses incluant les items « très mauvais », « mauvais » et « assez bon »). Plus des trois quarts (77 %) déclaraient « ne pas dormir suffisamment » tandis que 71 % estimaient que le niveau de stress lié à leur activité professionnelle est supérieur à 6 (sur une échelle de un à dix). L’enquête montrait également que sur les plus de 50 000 professionnels (des secteurs de la santé, du social et du médico-social) ayant répondu, 14 % n’avaient pas de médecin traitant.

Moins de cancers du poumon, de la sphère ORL et des voies digestives, mais plus de cancer du sein, des testicules, de la prostate… par rapport à la population générale

Des études plus spécifiques à certains problèmes de santé ont été partagées lors du colloque d’avril. Ainsi, les résultats préliminaires du projet Capessa (Cancer, incidence et prévalence – CRPPE Lyon, UMRESTTE, HCL) « mettent en évidence des tendances contrastées concernant les cancers chez les professionnels de santé par rapport au reste de la population active. Certains cancers présentent une incidence diminuée, notamment ceux du poumon, du col utérin, de la sphère ORL et des voies digestives, tandis qu’une augmentation est observée pour d’autres localisations, comme le sein, le testicule, la prostate, ainsi que certains cancers de l’ovaire et de l’utérus », a présenté Marie Viprey, MCU PH en Santé publique à l’Université Claude Bernard Lyon 1 et responsable de l’équipe Impulse au laboratoire Research on healthcare performance (Reshape). Les chercheurs pointent les expositions professionnelles spécifiques mais également des différences de comportements de santé et les pratiques de dépistage. Une équipe du CHU d’Angers a par ailleurs développé l’outil interactif Soignances disponible en ligne depuis quelques semaines. Il permet de comparer les niveaux d’expositions professionnels entre métiers ou selon le secteur d’activité. Il a été constitué à partir de données de plus de 12 000 professionnels de santé issus de 31 professions différentes (Cohorte Constances) et avec un suivi annuel croisé avec les données médico-administratives du SNDS.

En matière de grossesse également, les soignantes connaissent des conditions différentes de la population générale. Le projet Wocapreg (WOmen CAregivers and PREGnancy, équipe de recherche « Médicaments, Reproduction, Grossesse et Allaitement » du service de Pharmacologie de Toulouse, rattachée au CHU, à l’Université de Toulouse et à l’unité Inserm 1 295), a mis en avant une consommation plus élevée de médicaments, notamment de psychotropes et d’antalgiques, avant la grossesse chez certaines catégories de professionnelles (aides-soignantes, auxiliaires de puériculture…) et une sous-consommation d’acide folique. L’étude montre également des taux plus élevés – plus marqués pour certaines catégories - d’interruptions volontaires de grossesse (IVG), de diabète gestationnel (notamment chez les agents de service) et de menaces d’accouchement prématuré (chez les médecins, dentistes et sages-femmes).

La sécurité des professionnels de santé est également pointée du doigt parmi les risques. L’Observatoire de la sécurité des médecins publié par l’Ordre en octobre 2024 fait état d’une croissance de 27 % des incidents déclarés entre 2022 et 2023. Et 6 % de ces actes occasionnent une interruption de travail.

Le coût de la mauvaise santé

Or que ce soit l’absentéisme ou au contraire le présentéisme – le fait pour les salariés d’être assidûment présent même avec un problème de santé physique ou psychologique –, la mauvaise santé des soignants a un coût, a souligné Nicolas Sirven, professeur des universités en sciences économiques à l’École des hautes études en santé publique (EHESP). Le projet Valoris entend « déterminer les coûts directs et indirects liés à la mauvaise santé des professionnels exerçant à l’hôpital et dans les établissements médico-sociaux français et ainsi contribuer à la stratégie nationale de prévention de la santé des soignants ». Un questionnaire national est accessible en ligne jusqu’en juin.

Des résultats de la littérature internationale montrent d’ores et déjà que si l’absentéisme a un coût important pendant la période d’absence, - « environ deux fois le salaire de la personne absente », précise Nicolas Sirven -, le présentéisme a un impact sur une période plus longue. « Il peut coûter plus cher à long terme », a ainsi observé le dirigeant du projet. Avant d’avancer de premiers résultats pour la France. L’absence d’un chirurgien (hors cardiaque) entraînerait une perte estimée à 2 579 euros de revenu par séjour et jusqu’à un tiers de séjours perdus par jour, tandis que le présentéisme aurait un coût de 1 798 euros.

Maintenant, on fait quoi ?

Si de nombreux champs restent encore à documenter, le colloque témoigne d’une dynamique collective. « Le sujet est aujourd’hui porté par des gens de terrains, les instances : HAS, Anap, EHESP… On commence à produire de la connaissance en France », s’est félicité le Dr Philippe Denormandie, chirurgien neuro-orthopédique, directeur de la Fondation MNH et corédacteur du rapport ministériel sur la santé des professionnels de santé. Et des initiatives de terrain ont également été partagées. À l’exemple de l’ouverture d’un centre de santé dédié aux professionnels de santé à Angers (lire page 12). « La parole se libère sur l’importance de traiter le problème en profondeur. Nous ambitionnons avec la Fondation MNH d’encourager de nouvelles initiatives », a souligné Benoît Fraslin, président de la MNH. Le lancement de la Coalition Fondations & Santé, réunissant le Centre Français des Fonds et Fondations (CFF), la Fondation de l’Avenir, la Fondation CHANEL, la Fondation Groupe LBP AM, la Fondation Malakoff Humanis Handicap, la Fondation MGEN et la Fondation MNH, doit permettre d’allier les forces pour financer des actions.

Mais, il faudra également une généralisation de l’investissement. Le ministre de la Santé et de l’Accès aux soins, Yannick Neuder, a annoncé la mise en place d’un comité de suivi dédié à la santé des soignants. Il devrait se tenir mi-juin et réunir administrations, chercheurs, établissements de santé et instances représentatives du secteur. La ministre déléguée chargée de l’Autonomie et du Handicap, Charlotte Parmentier-Lecocq, a prévenu que les 55 millions récupérés auprès d’un acteur privé du médico-social dans le cadre d’une fraude seraient réaffectés à des projets en faveur de la santé des acteurs du médico-social. Avant de rappeler : « un soignant en bonne santé est un soignant qui soigne bien ».

*La MNH est actionnaire du Quotidien du Médecin

Un livre pour partager des pistes concrètes

Image 0

Offrir une vision globale des principaux défis en matière de santé des professionnels de santé, telle est l’ambition du livre dédié publié en mars dernier. Sous la direction d’Alexis Bataille-Hembert, corédacteur du rapport ministériel sur la santé des professionnels de santé, l’ouvrage donne la parole à près de 100 experts du domaine, dont l’ancienne ministre Agnès Firmin Le Bodo, et revient sur le constat collectif mais aussi les recherches et développement en cours, les initiatives déjà déployées ainsi que des propositions afin d’éclairer sur des « pistes concrètes pour renforcer l’engagement collectif et coconstruire un environnement de travail plus sain, plus sécurisé et plus durable au service de ceux qui prennent soin des autres ».

« La Santé des professionnels de santé », sous la direction d’Alexis Bataille-Hembert, éditions LEH, 400 pages, 39 €