La croisade de Bruno Retailleau (LR) contre l’aide médicale d’État (AME) continue. Le ministre de l’Intérieur a réagi au plan de redressement des finances publiques de 43,8 milliards d’euros pour 2026 de François Bayrou révélé le 16 juillet, en affirmant que l’urgence est « d’arrêter de vivre au-dessus de nos moyens » et de rétablir une discipline budgétaire. En ce sens, il est nécessaire selon lui de réviser certaines prestations sociales.
« Il faut réformer l’AME. Les OQTF [personnes sous obligation de quitter le territoire français, NDLR] ne devraient pas y avoir accès », a-t-il assené. « Ce budget doit être juste, et en cela, il doit concerner ceux qui cotisent, mais à plus forte raison ceux qui ne cotisent pas. Et, à encore plus forte raison, ceux qui viennent clandestinement sur notre sol », a-t-il déclaré, proposant également d’instaurer un ticket d’entrée pour en bénéficier.
Créé en 2000 par le gouvernement Jospin, l’AME permet aux étrangers en situation irrégulière présents sur le territoire national depuis au moins trois mois de bénéficier d’une prise en charge gratuite de leurs soins, sous réserve de faibles revenus (moins de 862 euros par mois en 2025).
Le Pr Juvin aligné avec Retailleau
Interrogé sur Cnews dans la foulée de la prise de parole du ministre, le député et président du groupe macroniste à l’Assemblée Sylvain Maillard (EPR) a fustigé un « serpent de mer » et affirmé que ce que prône Bruno Retailleau, à l’instar du Rassemblement national (RN), serait « de la fausse économie », puisque « l’AME nous fait économiser de l’argent », car « de toute façon, ces OQTF, on les soignera ».
Une position traditionnelle chez associations et soignants, mais aussi ministres de la Santé, qui ont, tous, sans exception, défendu le bien-fondé du dispositif, en vertu notamment de la santé publique. Jusqu’à Yannick Neuder qui a affirmé au Quotidien en mars n’être « pas favorable à la suppression pure et simple de l’AME », mais « favorable à sa réforme », à condition de « regarder les choses avec vigilance, humanité et fermeté », citant notamment « la balnéothérapie qui pourrait être sortie du panier de soins ».
La question de la réforme de l’AME pourrait à nouveau faire l’actualité à la rentrée, lors de l’examen au Parlement du projet de loi de finances (le budget d’État, dit PJL), texte duquel dépendent chaque année les crédits votés pour le dispositif. Pour le budget 2026, le Pr Philippe Juvin (LR) a été nommé rapporteur spécial de la mission santé du PJL. Le chef du service des urgences de l'Hôpital européen Georges-Pompidou (AP-HP) est favorable à une réforme du dispositif.
Le Sénat pousse aussi
Au Sénat aussi, les lignes se durcissent. Majoritairement à droite, la chambre haute réduit tous les ans le panier de soins de l’AME, en la transformant en aide médicale d’urgence (AMU). Une initiative vaine à l’issue de la navette parlementaire, où l’Assemblée a toujours le mot final et rétablit systématiquement l’AME d’origine.
Début juillet, le Sénat a publié un rapport d’évaluation du centriste Vincent Delahaye intitulé « L'aide médicale de l'État, une réforme nécessaire ». Critique envers l’exécutif, le sénateur pointe un « dispositif généreux inchangé malgré les promesses gouvernementales » qui ont fait suite au rapport Evin-Stefanini de la fin d’année 2023. Le coût « total réel de l’AME, toutes AME incluses » (ayants-droits, soins urgents, humanitaire et pour les personnes gardées à vue) est, pour l’année 2024, de 1 386,8 millions d’euros, soit une hausse de 15,5 % par rapport à 2023 et de 67,6 % en 10 ans, représentant 543 millions d’euros, peut-on lire. Ils étaient 465 744 bénéficiaires au 30 septembre 2024, soit une multiplication par deux entre 2011 et 2024. Selon plusieurs sources (Samu social de Paris, Irdes, gouvernement), près de 50 % des personnes éligibles à l’AME n’y ont pas recours.
Informatif, le rapport du sénateur centriste renseigne aussi que 56 % des bénéficiaires de l’AME sont des hommes ; près de 43 % ont entre 20 et 39 ans ; et 41 % ne bénéficieraient de cette aide que depuis un an. Ces bénéficiaires sont concentrés dans des départements urbains : Paris, en premier lieu (13,6 % du total), Seine-Saint-Denis (12,7 %), mais aussi Guyane (8,3 %), Bouches-du-Rhône (4,7 %), Essonne (4,2 %) ou encore Rhône (3,6 %).
Exclure les soins programmés pour les maladies chroniques
Dans la lignée de son ancien collègue sénateur, aujourd’hui ministre de l’Intérieur, Vincent Delahaye formule 10 propositions, parmi lesquelles l’inéligibilité à l’AME de droit commun pour les personnes concernées par un refus ou un retrait de titre de séjour pour motif d’ordre public. En 2024, il s’agit de 5 852 personnes.
Autre recommandation, sur le modèle allemand : exclure du panier de soins pris en charge les programmes de soins programmés pour les maladies chroniques (l’Allemagne use de cette possibilité selon l’état de santé de la personne) ; et soumettre à l’autorisation préalable les traitements hospitaliers non urgents, la rééducation physique ou encore la psychothérapie.
D’ici l’automne, le gouvernement devra trancher sur ce sujet pour le moins clivant. Ce qui augure un énième et délicat numéro d’équilibriste du Premier ministre François Bayrou pour contenter tout le monde et échapper à la censure des députés.
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