LE QUOTIDIEN : Quel est le rôle de votre commission d’entraide auprès des confrères, comme récemment avec le cyclone dévastateur à Mayotte ?
Dr VALÉRIE LACROIX : Nous sommes très réactifs, comme ce fut déjà le cas pendant les émeutes l’année passée en Nouvelle-Calédonie, lors des inondations dans la vallée de la Roya en 2020 ou au moment du passage du cyclone en Guadeloupe en 2017. D’emblée, nous entrons en contact avec la commission départementale d’entraide ordinale concernée, nous constatons les difficultés subies et nous débloquons une ligne budgétaire conséquente.
Cette aide d’urgence forfaitaire est à disposition des médecins demandeurs et leur permet de se nourrir, se loger, faire tourner leur cabinet… Toutes les situations sont étudiées, au cas par cas, par la commission, qui ne se substitue toutefois pas aux assurances. Une fois la somme versée, les médecins en disposent comme ils le souhaitent. Pour Mayotte, nous avons reçu six demandes d’aide d’urgence. Pour toute autre requête d’aide financière, les confrères peuvent monter un dossier d’entraide. Nous en avons instruit 389 en 2024.
Cela étant dit, nous n’aidons pas seulement financièrement les médecins, mais aussi confraternellement. Les conseillers départementaux ont la charge de contacter ceux qui demandent de l’aide, mais aussi ceux susceptibles d’en avoir besoin. Nous les accompagnons également grâce à notre numéro vert (0800 288 038, ndlr). Quand un médecin vit une situation délicate ou inopinée, il doit savoir qu’il y aura toujours quelqu’un au bout du fil.
Que se passe-t-il lorsqu’on appelle ce numéro ?
En faisant le 1, les confrères ont accès à des psychologues, disponibles tous les jours, à toute heure : le week-end, la nuit, les jours fériés… Le même psychologue suivra le médecin qui appelle et lui proposera un mode d’échange – par téléphone, visioconférence, tchat, mail – selon le ressenti. En 2024, ces psychologues ont suivi 92 médecins et réalisé 127 entretiens. Les deux tiers étaient des femmes. Dans plus de 50 % des cas, a été évoquée une plainte de charge mentale. Le motif le plus invoqué, environ 30 % des cas, est l’incertitude professionnelle. Nous avons reçu une dénonciation de violence sexuelle et sexiste et deux appels ont nécessité une prise en charge en urgence psychologique.
“Nous voyons également des cas de burn-out alimentés par une surcharge de travail, une solitude professionnelle
En faisant le 2, les praticiens sont mis en ligne avec nos assistantes sociales, qui les aident sur le plan administratif et social – elles ont la possibilité, en accord avec le demandeur, de solliciter les CDE, les psychologues, les organismes divers comme la Carmf ou l’Urssaf –, mais elles notent aussi des conflits entre confrères ou des litiges contractuels. L’année passée, les 421 appelants étaient âgés de 35 à 50 ans pour plus de la moitié et 59 % étaient des femmes. Les assistantes sociales ont mené 2 374 entretiens. Une aide bien utile, car lorsqu’on est dans un état de panique, on n’a pas toujours les idées claires.
De votre place, comment appréciez-vous la santé mentale des médecins ?
La mission menée par Agnès Firmin Le Bodo sur la santé des soignants en 2023, nous a encore davantage sensibilisés. Comme chez les autres professionnels, la santé mentale des médecins n’est pas optimale et, ce, dès leur formation. Ces dernières années, la parole s’est libérée. Je remarque que les confrères font face à un mal-être psychologique préoccupant, mais aussi d’origine matérielle. Nous voyons également des cas de burn-out alimentés par une surcharge de travail, une solitude professionnelle, un manque de reconnaissance et une culpabilité omniprésente, qui affecte leur vie familiale et s’aggrave si ces confrères sont isolés.
Vous avez beau avoir fait des études supérieures, être catégorisé comme une personne intelligente et prévoyante, cela n’empêche rien ! C’est pour cette raison que nous avons voulu proposer une disponibilité de psychologues à tout moment pour nos confrères, avec comme mot d’ordre : « Quand ça ne va pas, appelez le numéro vert. »
Parfois, ces psychologues dirigent vers d’autres partenaires que nous soutenons. Les associations « ASRA » et « Mots » ont accompagné plus de 300 médecins en 2024. La troisième association soutenue, « Imhotep », est tournée vers la prévention. Nous donnons également de la visibilité à d’autres associations, comme « Guérir en mer » ou le dispositif « Med’Aide ».
Concrètement, quelle aide leur apportez-vous ?
Sur le volet financier, certains médecins ont sous-estimé ou ne se sont pas occupés des risques pécuniaires lors de leur entrée dans la vie active ou de leur installation. Pour les accompagner au mieux, nous proposons une formation spécifique par la fondation Crésus aux membres des commissions départementales d’entraide, afin qu’ils accompagnent au mieux les confrères en difficulté financière ou en situation de surendettement.
En outre, quand nous constatons qu’un confrère est noyé dans les dettes, nous débloquons un fonds d’urgence, de concert avec la Carmf [Caisse autonome de retraite des médecins de France], le CNG [Centre national de gestion] ou GPM [Groupe Pasteur Mutualité], en fonction du mode d’exercice du confrère. Et nous nous appuyons toujours sur l’analyse d’une de nos assistantes sociales qui le soutient et l’aide d’un point de vue pratique dans les démarches à accomplir.
Dans le cas d’une situation tragique, comme lorsque nous apprenons le décès d’un confrère par suicide, immédiatement, nous appelons la famille et nous leur faisons un don. Nous participons parfois aux frais de rapatriement du corps ou aux frais funéraires, en plus de proposer l’accompagnement par une assistante sociale.
Quid de la question du sens du métier ? Épuisés ou dégoûtés de leur exercice, certains médecins jettent l’éponge…
C’est vrai, certains confrères, au cours de leur vie, disent : « Je n’en peux plus, je veux arrêter la médecine et changer de voie ». Pour les accompagner au mieux, nous avons signé un partenariat avec le réseau Paris formations & compétences, qui leur permet de faire un bilan de compétences et de les guider, lorsqu’ils sont dans une période de doute, voire de les réorienter, grâce à un réseau sur tout le territoire métropolitain et ultramarin.
C’est à la carte : l’entretien exploratoire peut se faire en distanciel ou dans une structure de proximité et n’engage à rien. Il permet une réflexion apaisée et, parfois, aide à une remobilisation vers le métier de médecin. L’idée est de « digérer » le processus, grâce à des entretiens reconductibles. Ayant vu fleurir des reconversions professionnelles à tort et à travers, avec ce partenaire de qualité, nous avons la garantie que si le médecin veut aller plus loin, il sera bien accompagné vers un autre métier.
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