L’accès aux soins valait bien un déplacement de cinq ministres, dont le premier d’entre eux, au pays de la truffade. Ce vendredi, François Bayrou s’est offert une virée à Aurillac (Cantal), flanqué de Catherine Vautrin et Yannick Neuder à la Santé, Françoise Gatel à la Ruralité et Philippe Baptiste à l’Enseignement supérieur. Objectif : détailler et vanter les mérites de son nouveau « pacte de lutte contre les déserts médicaux ».
Alors que le Parlement, à l’Assemblée avec la proposition de loi Garot et au Sénat avec celle de Philippe Mouiller, planche sur la question explosive de la régulation à l’installation des médecins, le gouvernement revendique avec ce pacte, issu d’une large concertation, un choix de compromis censé réconcilier patients, élus et corps médical. « Ce sont des mesures vigoureuses mais c’est aussi la dernière chance », souligne-t-on de source gouvernementale, en guise d’avertissement à la profession.
On n’impose pas aux médecins une installation en zone sous-dense mais on leur demande de prêter main-forte dans les zones critiques
Source gouvernementale
Cartographie des « zones rouges » avant fin mai
Mesure emblématique de ce plan anti-déserts, François Bayrou a décidé de jouer la carte de la « solidarité territoriale » en réclamant à l’ensemble des médecins généralistes et spécialistes de sanctuariser « jusqu’à deux jours par mois » pour aller épauler leurs confrères dans les territoires les plus durement touchés par la pénurie médicale. Les ARS, en lien avec les préfets et les élus locaux, sont chargées « d’ici à la fin du mois de mai » d'identifier ces « zones rouges, à l’échelle de l’intercommunalité ».
Cette mission de solidarité obligatoire sera concentrée dans un premier temps dans ces zones critiques avant d’être étendue secondairement à « l’ensemble des zones sous-denses, au-delà des territoires prioritaires et du premier recours ». Pour rappel, en 2024, 87 % du territoire est classé en désert médical dans les 1 254 intercommunalités du pays. Point important : les praticiens en mission pourront se faire remplacer dans leur cabinet principal. « On ne veut pas imposer à des médecins de s’installer en zone sous-dense mais on leur demande de prêter main-forte dans les zones critiques », explique-t-on de source gouvernementale.
En toute logique, cette cartographie devrait s’appuyer notamment sur la densité des médecins généralistes.

Comment assurer en pratique cette solidarité territoriale ? Consultations avancées dans des locaux existants, consultations déportées, télémédecine, centres de médecine solidaire, consultations hospitalières spécialisées « hors les murs », équipes de soins spécialisés, etc. : tout est ouvert à ce stade. « La réponse ne sera pas la même pour un généraliste et un rhumatologue », ajoute-t-on. Pour mettre en musique cette solidarité, les ARS devront lever les freins administratifs en facilitant les conditions d’accueil et d’exercice des médecins, en concertation avec les collectivités territoriales.
30 millions de consultations par an réorientées
S’ils jouent le jeu de la solidarité territoriale, le gouvernement promet aux praticiens concernés des « contreparties financières » – dont on ignore le montant mais qui ne passeront pas par des tarifs majorés. S’ils refusent ce principe de solidarité, la promesse d’une « pénalisation », là encore inconnue, est aussi assumée, ce qui risque d’être le point le plus sensible. Preuve de l’importance de cette mesure, elle sera cadrée sur le plan législatif. À la clé, l’exécutif espère « 30 millions de consultations par an réorientées vers les zones prioritaires ».
Au-delà de ce principe de solidarité, le gouvernement attend de la part des médecins un engagement significatif sur la permanence des soins, même si près de 47 % des libéraux assurent déjà des gardes sur 97 % du territoire. Mais, de manière ponctuelle, des zones de crispation persistent. « Des consignes d’identification des zones non couvertes seront passées avec une vérification de la complétude des plannings et, le cas échéant, un recours plus automatique à la réquisition des médecins du territoire », assume-t-on.
Un statut de praticien territorial de médecine ambulatoire
Côté jeunes, le plan Bayrou prévoit la création d’un statut de « praticien territorial de médecine ambulatoire » qui rappelle l’assistant territorial défendu par les internes, les doyens ou encore la CSMF. Il s’agit d’un engagement d’exercice de deux ans minimum dans ces zones rouges avec « une garantie de revenu et une exonération de jours de solidarité territoriale ». Pour autant, le gouvernement n’entend pas offrir la possibilité aux volontaires de s’installer dans la foulée en secteur 2.
Si le gouvernement confirme qu’il ne soutiendra pas les mesures coercitives de la PPL Garot, cela ne l’empêchera pas d’utiliser ce véhicule législatif – de même que la PPL Mouiller au Sénat – pour décliner son plan par l’ajout d’amendements. Cette méthode des petits pas a le mérite de déployer plus rapidement ce pacte que si le gouvernement avait attendu une grande loi santé, réclamant de nouvelles concertations et une brèche dans un calendrier parlementaire déjà saturé.
Opération déminage
Le gouvernement fait ici un pari : symboliquement, passer d’un principe de régulation, auquel François Bayrou s’était déclaré plutôt favorable, à une idée de solidarité médicale collective, permet de transférer le poids de la responsabilité sur la profession, qui a une partie des cartes en main. En prenant l’opinion publique à témoin car refuser d’être solidaire face aux déserts médicaux revient, d’une certaine façon, à se montrer égoïste.
En impliquant l’ensemble de la communauté médicale, le pacte évite aussi de cibler les seuls internes et nouveaux installés, généralement visés par les mesures de coercition, alors que ces derniers fourbissent leurs armes pour faire grève et battre le pavé en début de semaine prochaine. De ce point de vue, le plan Bayrou est aussi une opération déminage. « L’objectif de ce plan n’est pas de fracturer la profession mais de l’embarquer, en utilisant le vécu et les initiatives du terrain », insiste-t-on de source gouvernementale.
Enfin, en reprenant le leitmotiv de l’association Médecins solidaires (« Au lieu de demander beaucoup à peu de médecins, demandons peu à beaucoup de médecins »), le gouvernement s’assure le soutien de cet acteur qui connaît une influence croissante dans l’écosystème sanitaire.
Un parfum de CET
Mais en dépit de l’effort de pédagogie, ce principe de solidarité territoriale, certes moins brutal qu’une mesure punitive, risque de réveiller quelques mauvais souvenirs aux médecins libéraux. Car ce contrat solidaire reprend, sous une autre forme et un autre habit, le principe du contrat d’engagement territorial (CET), qui avait été élaboré par l’Assurance-maladie lors du premier round de négociations conventionnelles de 2023.
À l’époque, ce contrat opposable individuellement, qui conditionnait l’accès à des tarifs majorés à une série d’engagements anti-déserts, dans une logique de droits et devoirs, avait braqué les syndicats au point de faire capoter toutes les discussions. L’un de ses critères consistait justement à accepter de réaliser des consultations avancées en zones d'intervention prioritaire (ZIP). La « solidarité territoriale » version Bayrou aura-t-elle davantage de succès ?
Formation, délégations : Matignon innove… et recycle
Le plan Bayrou égraine une batterie d’autres mesures qui oscillent entre recyclage et nouveautés.
Le premier axe concerne la territorialisation de la formation. « Il faut permettre à davantage de jeunes d’accéder aux études de santé et diversifier leur origine géographique et sociale », résume-t-on de source gouvernementale. L’exécutif confirme des mesures déjà évoquées (simplification du système PASS/L.AS, extension de l’option santé dans les lycées ruraux pour susciter des vocations) mais affiche aussi deux engagements forts. À l’entrée du cursus, une première année d’accès aux études de santé sera proposée « dans chaque département de France et d’outre-mer », ce qui supposera de créer des antennes universitaires, des campus connectés (comme à Nevers) ou des parcours adaptés dans les 24 départements qui ne proposent pas encore cette première année. L’autre engagement concerne le développement « massif » des stages hors CHU, dans les territoires sous-denses, avec l’objectif que « 100 % des étudiants » réalisent « au moins un stage » de ce type en deuxième ET en troisième cycle. Là encore, cet objectif représente un énorme défi logistique et nécessitera l’essor d’internats ruraux. Le ministère promet également la simplification des EVC pour faciliter l’intégration des Padhue, de nouvelles passerelles et le retour facilité des étudiants français partis faire les études de médecine ailleurs en Europe « après vérification des compétences ». Sans compter que 3 700 docteurs juniors de médecine générale (en fin d’internat) arriveront « dans les territoires » à compter de novembre 2026.
Un autre grand bloc concerne les compétences, avec la volonté d’« aller plus loin » dans les actes confiés à des non-médecins. « Notre modèle, c’est ce qui a été fait pour la prise en charge des angines et les cystites en pharmacie avec plus de 9 millions de consultations par an », explique-t-on. Au programme : la montée en puissance des infirmières en pratique avancée (IPA) pour la primo-prescription et les renouvellements, de nouvelles missions officinales (le gouvernement évoque des protocoles de première intention pour la rhinite allergique, la sinusite, l’otite, des plaies, etc.), la réforme du métier infirmier, des accès directs aux kinés ou un recours facilité aux soins visuels dans les Ehpad.
Autres engagements récurrents pour gagner du temps médical : la suppression de certificats inutiles et le déploiement des assistants médicaux (objectif 15 000 en 2028 vs 8 000 contrats aujourd’hui).
Le dernier axe – préalable à tout – concerne la déclinaison territoriale du plan, avec la cartographie complète des « zones rouges » ultra-prioritaires où concentrer l’action publique. Ces zones devraient bénéficier des mesures prioritaires : incitations, aides au logement, à la mobilité, à la garde d’enfant ou à l’emploi du conjoint. Un guide des élus est annoncé pour généraliser les bonnes pratiques et éviter la concurrence.
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