C’est une idée surprenante que porte le conseil départemental de la Nièvre, territoire hexagonal où les difficultés d’accès aux soins occupent l’actualité : crise des urgences de Nevers, Clamecy ou Cosne-sur-Loire, mise en place de « flying doctors » entre Dijon et Nevers, arrêtés municipaux interdisant de tomber malade, pénurie de médecins généralistes et spécialistes… Pour combattre l’avancée de la désertification médicale, mais également susciter des vocations, Fabien Bazin, le président du conseil départemental, propose de créer une nouvelle spécialité médicale : « l’exercice de la médecine en zone rurale ».
C’est le sens du courrier qu’il a envoyé en décembre à Michaël Galy, directeur de cabinet du ministre de la Santé – et ancien préfet du département. En outre, il note dans sa missive « l’absence de régulation de l’installation », à laquelle il n’est pas favorable, « la raréfaction de certaines spécialités médicales » et « la nécessité de pallier cette carence à travers des généralistes capables de garantir un premier niveau de soins spécialisés » : petite chirurgie, gynécologie, échographie, radiologie, dermatologie, etc.
Une inspiration australienne
Au Quotidien, l’ancien maire socialiste de la petite commune de Lormes pendant 20 ans, désormais à la tête du département, explique s’appuyer sur l’exemple australien de spécialité médicale d’exercice en ruralité, argumentant que le métier n’est pas le même qu’en zone urbaine, « que ce soit en termes d’organisation ou de pratique, y compris avec des réseaux de plateaux techniques différents ». Le médecin formé à l’exercice rural « doit être capable de traiter sa patientèle et la bobologie qui relève de l’hôpital, parfois très loin », affirme-t-il, tout en concédant que « le temps où le généraliste sortait recoudre un bûcheron qui s’était coupé en pleine forêt à trois heures du matin est révolu ».
Ce projet en santé, qui en est à ses prémices, s’inscrit à long terme pour Fabien Bazin, qui espère faire de son territoire une expérimentation d’une politique publique de la ruralité, à laquelle il ne croit que par une logique de « consensus ». Or, celui-ci n’est pas gagné… Même s’il peut compter sur des soutiens locaux. Car le maire de Varzy (Nièvre) et vice-président de l’association des maires ruraux de France (AMRF), Gilles Noël, voit d’un bon œil cette initiative de formation spécifique pour l’exercice en milieu rural. « C’est intelligent ! Parfois, les médecins envoient des patients aux urgences pour des points de suture, alors qu’ils pourraient le faire eux-mêmes ou en coordination avec d’autres soignants, comme les infirmiers ». Fabien Bazin précise que le conseil de l’Ordre des médecins de la Nièvre y serait « très favorable ». Contacté, son président, le Dr Thierry Lemoine, n’a pas répondu à nos sollicitations.
Une proposition cocasse ?
Quid des généralistes enseignants ? Interrogé, le président du Collège national (CNGE), le Pr Olivier Saint-Lary, estime cette proposition d’opposer médecine générale en ville et en ruralité « pas opportune ». En effet, ironise-t-il, « la situation de tension de l’offre médicale amène certains acteurs politiques à faire des propositions toutes plus cocasses les unes que les autres ». Car, développe l’omnipraticien, le DES de médecine générale permet aux internes d’avoir le plus de cordes à leur arc, avec un tronc commun et d’autres options, accompagnées par les UFR, comme l’usage de l’échographie, populaire chez les étudiants. Les autres compétences s’acquièrent in situ. « La petite chirurgie ne s’apprend pas en cours mais en réalisant ces actes sur les terrains de stages », explique-t-il, par exemple. « La société demande au médecin généraliste de répondre à toutes les crises : psychiatrie, pédiatrie, dermatologie… Mais c’est impossible ! », conclut le président du CNGE.
En voulant spécialiser petit à petit les médecins généralistes, en gériatrie ou en pédiatrie on fait d’eux des “mini-spécialistes”
Pr Paul Frappé, président du Collège de médecine générale
Elle est là, la question de fond, développe le président du Collège de médecine générale (CMG), le Pr Paul Frappé : la transversalité de la discipline. « En voulant spécialiser petit à petit les médecins généralistes, en gériatrie ou en pédiatrie, par exemple, on fait d’eux des “mini-spécialistes”. Et, in fine, ce sont les patients qui trinquent, car le guichet unique de la consultation de médecine générale, où on peut pousser la porte pour tout motif, est menacé par cette logique. »
Une spécificité mais pas une spécialité
Si l’ancien président de l’association européenne des omnipraticiens en ruralité (Euripa), le Dr Jean-Pierre Jacquet, rejette lui aussi la formation d’une « spécialité », pour autant, la médecine rurale est bien une « spécificité », selon lui. « Il existe un échantillon de compétences qu’il faut avoir en plus, comme de la petite chirurgie ou de la radiologie, quand on est équipés du matériel adéquat », explique-t-il. Mais pas besoin de cursus dédié à ses yeux, car, explique-t-il, « ce n’est pas la théorie qui importe, mais les aptitudes et la connaissance du milieu rural, qui s’acquière par des stages ambulatoires ».
Reste que cette proposition du président du conseil départemental de la Nièvre ne trouve pas non plus écho auprès d’experts santé au Parlement. Le médecin anesthésiste et député, le Pr Philippe Juvin (LR), avertit : « Attention à la fragmentation de la médecine et à la qualité de l’enseignement ». De son côté, le généraliste et sénateur (app. Socialiste), le Dr Bernard Jomier, souligne le caractère « inopérant et illusoire » d’une telle mesure…
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