Alors que dans les années à venir, la proportion de médecins généralistes femmes va nettement augmenter, la question de la gestion des grossesses chez ces praticiennes – plus ou moins jeunes – se pose. Une thèse publiée en 2024 (1) indique que l’âge de la première grossesse des médecins françaises est similaire à celui des autres femmes (28,5 ans). Ce travail met aussi en exergue l’importance de la protection sociale, en particulier pour les généralistes en activité libérale, et de l’accompagnement familial, qui permet de suspendre son activité pour une durée qui se rapproche de celle des salariées du secteur privé. C’est parce que certaines femmes médecins ne trouvent pas cet appui social et privé qu’elles diminuent la durée de leur congé maternité.
Moins de morbidité infantile
Quel est l’impact sur la grossesse d’un moindre recours aux congés des mères ? Impossible de préciser cela en France par manque de données mais une étude canadienne menée en 2022 s’est intéressée à cette question (2) tout comme à l’impact des horaires prolongés et du travail de nuit. Cette étude de cohorte rétrospective a été menée en Ontario, au Canada. Les participants comprenaient des femmes médecins et des témoins non médecins résidant dans des régions à revenu élevé qui ont accouché à 20 semaines ou plus de gestation entre le 1er avril 2002 et le 26 novembre 2018. Au total, 10 489 naissances ont eu lieu parmi 6 161 médecins agréées et 298 683 naissances ont eu lieu parmi 211 191 homologues non médecins. Les médecins étaient plus âgées (âge médian, 34 contre 32 ans) et plus susceptibles d'être nullipares (5 049 [48,1 %] contre 128 961 [43,2 %]) que les non-médecins. Ce constat de grossesse tardive et d’enfants uniques pour les femmes médecins n’a pas été encore été précisément étudié en France.
Les auteurs n’ont pas noté de différence de devenir des grossesses selon le type de médecine exercé
Aucune différence n’a été notée en termes de morbidité maternelle grave après ajustement pour les co-variables (dont l’âge principalement). En revanche, il semblerait que les enfants de femmes médecins soient moins à risque de morbidité grave que ceux des témoins (OR, 0,79 ; IC à 95 %, 0,72-0,87). Enfin, les auteurs n’ont pas noté de différence de devenir des grossesses selon le type de médecine exercé : médecine générale, spécialité à gardes et spécialité sans gardes.
Fertilité inexpliquée
Autre point d’intérêt analysé aux États-Unis (mais hélas, toujours pas en France), le recours des femmes médecins à l’assistance médicale à la procréation (AMP). Récemment, Anna Vanderhoff et coll. (Boston, États-Unis) (3) ont publié une étude de cohorte rétrospective à partir des données de 248 patientes médecins et de 3 470 patientes non médecins qui ont subi un total de 10 095 cycles d'AMP entre janvier 2015 et mars 2022. Les deux groupes étaient similaires en termes d'âge (âge moyen des médecins 36,29 ans ; âge moyen des non-médecins 35,96 ans, p= 0,35). Les médecins avaient un indice de masse corporelle (IMC) plus faible (IMC moyen 23,51, contre 26,37 pour les non-médecins, p < 0,01), et une proportion plus élevée avait reçu un diagnostic d'infertilité inexpliquée (médecins 33,9 %, non-médecins 25,9 %, p < 0,01) et avait utilisé des tests génétiques préimplantatoires pour l'aneuploïdie (médecins 21,5 %, non-médecins 12,7 %).
Les deux groupes ont eu des taux de naissances vivantes similaires (médecin 39,3 %, non-médecin 38,2 % ; risque relatif ajusté [RRa] 1,01 IC à 95 %, 0,91–1,13), des taux d'implantation (médecin 34,7 %, non-médecin 33,7 % ; risque relatif 1,03 IC à 95 %, 0,94–1,14) et des taux de fausses couches précoces (médecin 21,9 %, non-médecin 19,8 % ; RRa 1,18 IC à 95 %, 0,99–1,41) identiques. Les médecins avaient un délai plus court entre le cycle initial de procréation assistée et la grossesse (médecin 21,82 semaines, non-médecin 25,16 semaines ; RRa 0,86, IC à 95 %, 0,83–0,89).
Cryopréserver ses ovocytes pour une grossesse tardive
Fait de société nouveau, outre-Atlantique – et aussi dans certains pays d’Europe comme l’Italie –, une cryoconservation élective des ovocytes est de plus en plus souvent proposée aux femmes comme moyen de surmonter l’infertilité liée à l’âge (4). Il est important de reconnaître que cette stratégie n’empêchera pas la morbidité maternelle grave liée au report de l’accouchement et à l’âge maternel avancé. Les données sur ce sujet n’existent pas encore en France.
(1) David AC. Vécu de la maternité des femmes médecins généralistes exerçant dans la Manche (50). Thèse 2023.
(2) Cusimano M, Baxter N, Sutradhar R et coll. Evaluation of Adverse Pregnancy Outcomes in Physicians Compared With Nonphysicians. Jama Netw Open. 2022;5(5) : e2213521.
(3) Vanderhoff A, Lanes A, Herz-Roiphe R et coll. Outcomes for Female Physicians Compared With Nonphysicians After Assisted Reproductive TechnologyObstetrics & Gynecology ():10.1097/AOG.0000000000005767, October 24, 2024.
(4) Petropanagos A, Cattapan A, Baylis F, Leader A. Social egg freezing : risk, benefits and other considerations. CMAJ. 2015;187(9):666-669. DOI : 10.1503/cmaj.141605
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