IBM se lancerait-elle dans l’information météo ? Peut-être pas, mais la vieille dame de l’informatique a cru bon de racheter une compagnie privée d’assurance américaine (Truven Health Analytics) et une société de météorologie afin de relier les informations personnelles de santé et les conditions météo. Quelle est sa stratégie ? Serait-elle identique à celles des Gafa (Google, Amazon, Facebook, Apple) qui collectent le maximum de données personnelles sur leurs utilisateurs afin de pouvoir les vendre à des sociétés privées de marketing ? Un assureur privé de santé américain aurait-il intérêt à anticiper des pathologies de ses clients ? Et du côté hexagonal, en cette période de disette et de déficits budgétaires, les grands hôpitaux universitaires tireront-ils profit de la manne de l’or blanc numérique représentée par ces montagnes de données (big data) ?
Machine
La problématique de l’utilisation des big data s’est posée dès les années 2000 à travers l’utilisation des objets connectés qui se sont mis à générer beaucoup d’informations. « Si on veut donner un sens à ces données, il faut les interpréter et les utiliser », explique Philippe Devins, responsable du secteur public de HPE. « Il faudra aussi leur assurer un cadre juridique, et que les professionnels de santé s’approprient ce nouveau sens attribué à ces données, aussi bien pour le diagnostic que la santé des patients. » Appliqués à la santé, des capteurs renseignent en temps réel sur l’état du patient, sa pathologie, le nombre de pas, son taux de glycémie… afin par exemple de maintenir une hospitalisation à domicile. La machine fait remonter l’information en alerte. Ensuite, il faut être en mesure de l’analyser. Puis les médecins sont alors en mesure d’intervenir à tout instant et de prévenir le patient.
Les hôpitaux français disposent déjà de nouveaux outils pour interpréter ces données (big data) et les rendre intelligentes (smart data) afin qu’elles soient disponibles et exploitables de façon anonymisée par des organismes de recherche (open data).
Par exemple, Christophe Le Dantec, président de la société Optiflow, a développé avec son équipe le logiciel Surycat. Le principe repose sur l’industrialisation de la connectivité. Tout est prétexte à connecter la chambre d’un patient : un système d’appel malade, un système biomédical, la dénomination du patient rattachée à un dossier patient et soigné dans un établissement précis, etc. Même si les systèmes d’information existants n’utilisent pas le même référentiel, la plateforme commercialisée permet de réassocier toutes les données créées par les SI pour les rendre signifiantes. Les smart data sont aussi des aides à la surveillance. Par exemple, un tensiomètre peut être associé à un logiciel de rappel des patients pour les prévenir de prendre leur tension à heure fixe et de façon quotidienne.
D’autres logiciels sont prometteurs sur le marché de la smart data. La solution logicielle Axigate commercialisée il y a deux ans est à même de constituer une base de données unique de patients sur plusieurs établissements en même temps. Dans sa solution, un moteur de recherche indexe en temps réel la totalité des informations du dossier patient, que ces données soient déjà structurées dans des bases ou disponibles dans des documents textuels.
Freins
Toutefois, les freins à ce développement des smart et open data sont nombreux. Pour l’instant, à part quelques start-up, la prise de conscience de la smart data par le monde médical est encore loin d’être prégnante. Le partage de ces données entre hôpitaux n’est pas encore opérationnel dans la majeure partie des établissements.
Illustration de ces difficultés, expliquée par Sylvain François, directeur du SI du centre hospitalier de Versailles, la réalisation d’un dossier patient informatisé (DPI) unique au sein d’un groupement hospitalier de territoire (GHT) (Confère dossier pages 12 à 17). Son hôpital sera l’établissement support du futur GHT Sud Yvelines. Mais comment partager des informations sur des patients qui ont des profils radicalement différents ? : « Quels points communs, s’interroge-t-il, trouve-t-on entre des établissements MCO comme ceux de Versailles et Rambouillet, la prise en charge des personnes âgées et la psychiatrie (CH de Plaisir), les soins de suite et de rééducation (CH de Bullion), des établissements médico-sociaux de retraite, des hôpitaux locaux qui réalisent des soins de suite spécialisés pour des adultes… ? »
Gisement
De même, l’énorme gisement de données contenues dans la base de données du Sniiram (Cnam) fait encore très peu l’objet d’exploitation. Alors même que cette base centralisée unique au monde a permis de collecter des données issues de milliards de feuilles de soins, le retard français en la matière pour traiter ces données de façon smart est acté par tous, surtout pour les rendre définitivement anonymes. Cette difficulté devra être réglée dès que les données dépasseront le simple stade de la relation médecin/patient pour être communiquées à des organismes de recherche publics ou privés.
Le plan Hôpital numérique 2012-2017 n’a pas permis d’avancer de manière significative sur ce dossier. Occasion manquée, il n’a pas revêtu de caractère obligatoire pour les établissements de santé. Exemple, alors que l’hospitalisation à domicile et la télémédecine sont très prometteuses pour l’avenir, leur essor tarde encore à venir pour des raisons de réglementation et de financement. Les expérimentations ne sont pas toujours renouvelées par manque d’évaluation mais aussi de budget.
1,38 %
En témoigne ce fossé qui se creuse entre la France et d’autres pays beaucoup plus en pointe sur le sujet. Dans l’Hexagone, la santé représente 13 à 14 % du budget total de l’État qui est de 2 000 milliards. Or seul deux milliards d’euros, soit 1,38 % du total, sont consacrés au numérique, selon Henri Verdier, administrateur général des données. Le financement en valeur absolue est 36 fois moindre qu’aux États-Unis. Les autres pays en pointe sont ceux d’Europe du Nord comme les Pays-Bas, la Norvège, la Suède, la Finlande ou même la Corée du sud, où 85 % des dossiers médicaux sont déjà numérisés depuis dix ans.
Mais l’impulsion donnée au numérique aux États-Unis n’est pas sans danger. La protection des données de l’autre côté de l’Atlantique ne paraît pas une priorité. En témoigne l’affaire récente publiée par le magazine New Scientist qui dénonce un accord secret entre trois hôpitaux londoniens et DeepMind, filiale de Google spécialisée dans l’intelligence artificielle. Cette société américaine a eu accès aux données de santé de 1,6 million de patients britanniques. En février 2016, DeepMind a annoncé travailler sur une application appelée Streams qui surveille les patients atteints de maladies rénales. En fait, la société a eu accès à des informations sensibles des patients, y compris à celles portant sur des cas de séropositivité ou d’overdose. Afin d’éteindre la polémique, le ministre des Sciences de la vie a promptement tenu à rassurer les Britanniques : « Les patients doivent savoir que ces informations confidentielles ne seront ni vendues ni utilisées de manière inappropriée. »
Cet exemple illustre le choc des cultures Etats-Unis-Europe en matière de protection des données. Lors des négociations menées fin 2015 dans le cadre du Safe Harbour (accord d’échange de données entre États-Unis et Europe), les Européens ont fait barrage aux Américains. Toutes les Cnil européennes (Commission nationale de l’informatique et des libertés, cf. encadré protection des données, le cadre juridique existant) se sont liguées ensemble pour imposer le statu quo. Les Européens jugeaient trop libérale la politique américaine de confidentialité des données. Les discussions entre les parties devraient reprendre avant la fin de l’année 2016.
Mais dans ce match Etats-Unis-Europe, y aura-t-il un jour un vainqueur ? Le potentiel de la smart data est gigantesque, mais bien loin d’être exploitable pour l’instant. Les appétits sont déjà bien aiguisés, mais l’or blanc du numérique serait encore finalement bien difficile à extraire pour l’instant. La smart, un miroir aux alouettes ?
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