Mon grand-père était médecin de famille, en raccourci, « médecin » ; ça voulait dire qu’il faisait tout ; du petit risque jusqu’aux accouchements, en passant par les blessures plus ou moins grandes de la vie.
Mon père était généraliste ; ça voulait dire qu’il faisait seulement un peu de tout. Son principal rôle était de recopier les ordonnances proposées par les spécialistes et de compter le nombre de boîtes consommées par leurs patients sous peine de rétorsions de la part de madame Lacaisse quand ils en prenaient trop souvent pour faire des réserves. Si, si, il a eu le cas, il a reçu des remontrances de madame Lacaisse pour un cas précis. Sinon, il faisait ce qu’en haut lieu, on appelle ironiquement, de la « bobologie » en voie de non remboursement.
Moi, je suis devenu, avec la nouvelle loi, un spécialiste. Comme les cardiologues les pneumologues, les urologues, les gastrologues, les entérologues et tous les autres analogues. Je suis donc devenu spécialiste, spécialiste en formulaires pour le compte principal de madame Lacaisse : je suis formulairologue ! Avec l’échec total de toute politique de FMC, ça tombe bien, il n’y en a pas besoin ; il suffit de savoir cocher des cases sur des formulaires de plus en plus complexes, l’objectif n’étant plus uniquement de permettre à un patient de se faire rembourser (telle la télétransmission, service « offert au patient » comme inscrit dans la convention), mais de permettre à madame Lacaisse de réaliser des économies et de faire des statistiques dont elle seule a le secret.
Il serait utile que les médecins fassent une formation à minima sur les objectifs et la réalisation des formulaires pour le compte des bases de données informatisées. Ils comprendraient mieux, par exemple, la signification de l’ajout d’une case à cocher « ALD non exonérante » sur les formulaires de prescription médicale de transport. Ou, sur le même formulaire, les deux cases à cocher pour un seul et même objet de la rubrique 6 concernant les A115, alors qu’une seule est utile uniquement en présence d’un A115. Et ça, ça ne fait pas partie des services à offrir aux patients.
L’informatique médicale a été détournée au profit de la Sécu
J’ai souligné plusieurs fois le fait que l’outil informatique médical des médecins avait été détourné de son objectif principal orienté vers le patient au profit de celui de madame Lacaisse. Au début de l’informatisation, plein de médecins se sont investis pour une réflexion et un développement de cet outil au profit des patients ; au lieu de coopérer, les politiques ont préféré stopper cet élan en imposant brutalement un détournement au seul profit de la SS ; les éditeurs de progiciels qui coopéraient avec les médecins s’en sont détournés, obligés via une certification, de se mettre à la botte de madame Lacaisse et de ses objectifs, et profitant de ce, pour augmenter largement leurs tarifs. C’est la raison principale qui explique l’immense résistance des médecins et l’échec du développement de tout un pan qui devrait être aujourd’hui indispensable à tous, mais particulièrement aux patients.
Chacun sait, qu’à l’époque des supersoniques et des TGV, qu’il n’est plus possible d’expérimenter un nouveau médicament 20 ans avant de le proposer aux patients avec le minimum de précautions. Les lobbies des patients sont d’ailleurs les premiers à réclamer une mise sur le marché, parfois même avant la fin des essais… D’où des scandales et procès à répétition.
Pas étonnant que la iatrogénie soit en forte progression
La iatrogénie est donc un problème majeur de santé publique, en croissance exponentielle, que seule une informatisation des médecins, correctement pensée et réalisée, permettrait de contrôler en opposant une réponse adaptée. Le médecin ne peut tout savoir, et c’est là que l’informatique a son rôle à jouer. Le médecin devrait être capable de piloter un programme informatique, lui-même capable d’analyser en sous-main dossier du patient + prescriptions, correctement renseignés au sens base de données informatique du terme, afin de générer des formulaires qui pourraient être envoyés spontanément ou après vérification à qui de droit, formulaires qui préviendraient le médecin à la façon des étiquettes alimentaires « rouge orange verte » chères à madame Touraine, mais dont M. Le Foll n’a pas voulu…
Il est bien évident que tout travail mérite salaire, et puisque nous sommes formulairologues, ça tombe bien, c’est notre nouveau métier. Il n’y a pas de raison que l’on finance un outil informatique et en plus, que l’on travaille gratuitement. On me répondra que le concept existe déjà, que les différentes bases de données médicamenteuses (BDM) sont certifiées pour agir dans ce sens. C’est oublier un peu vite que ces BDM sont issues d’un modèle papier recopié sur une page informatique, alors que la raison voudrait que, à la base, les fiches médicamenteuses (RCP) soient pensées et écrite informatique. Donc peu utilisables en pratique, sauf à submerger le médecin d’informations redondantes et/ou sans intérêt, qu’il ne consulte pas d’ailleurs car mal programmées.
Des alertes automatiquement générées
Exemples de ce qui pourrait être réalisé. Un patient vient pour un mal de tête non expliqué ; inscription dans le dossier patient. Le temps de l’examen (si madame Lacaisse nous en laisse encore le temps), un programme analyse lui-même le dossier patient (ATCD familiaux ou autre, lieu de vie, médicaments pris), en transformant aussi l’expression « mal de tête » en « trouble neurologique », et peut découvrir une éventuelle IAM, une intoxication liée à une pollution sur un lieu de vie, ou autre. Un formulaire est généré qui informe le médecin, qu’il peut/doit envoyer alors à une base de données centralisée qui permet de regrouper tous les cas analogues. Une telle action permettrait de découvrir rapidement des effets secondaires graves non découverts par des essais cliniques sur population restreinte en un temps limité ; et l’industrie pharmaceutique, qui aurait le devoir d’interroger cette base, ne pourrait dire qu’elle ne savait pas. Pas besoin d’attendre un procès organisé par les patients pour réagir.
Un médecin prescrit un nouveau médicament ; pourquoi ne pas prévoir des plug-in, auto téléchargés à la première prescription, et qui analyseraient en coordination avec le médecin traitant, le dossier des patients concernés, de façon à prolonger les études d’avant mise sur le marché. Pourquoi ne pas proposer non plus de tels plug-in pour de vieux médicaments, lorsque des alertes ont déjà été proposées ?
Je me souviens, ça m’est arrivé de faire des signalements papiers à qui de droit, suite à des cas tout à fait évidents. À chaque fois, il m’a été répondu que je me trompais, alors, je n’ai pas continué ; j’ai fait comme tout le monde, tout le monde ayant compris, sans avoir à essayer, que cela ne servirait à rien. Et puis le papier, ça se perd ; une base centralisée, enrichie directement par un médecin, ne peut rien perdre ; enfin, en principe.
Ah, j’oubliais… Quand il y a procès, ce sont les industriels du médicament qui trinquent ; quand ils sont absents (ex : le sang contaminé), ce sont les médecins ; jamais les politiques ni les agences responsables du médicament. Alors, la mise en œuvre de telles suggestions risquerait peut-être de révéler leur responsabilité… Mieux vaut oublier tout ce que je viens de suggérer.
Vous aussi, vous voulez réagir à l’actualité médicale ? Adressez-nous vos courriers accompagnés de vos nom, prénom et lieu d’exercice à redaction@legeneraliste.fr
Transition de genre : la Cpam du Bas-Rhin devant la justice
Plus de 3 700 décès en France liés à la chaleur en 2024, un bilan moins lourd que les deux étés précédents
Affaire Le Scouarnec : l'Ordre des médecins accusé une fois de plus de corporatisme
Procès Le Scouarnec : la Ciivise appelle à mettre fin aux « silences » qui permettent les crimes