La santé jouera un rôle majeur dans la campagne des élections municipales des 15 et 22 mars 2020. Dans un contexte marqué par la désertification médicale, réussir à faire (re)venir un généraliste sur ses terres est devenu un argument électoral. Certaines communes sont prêtes à sortir le grand jeu et à rentrer en concurrence les unes avec les autres pour trouver la perle rare... quitte à friser la surenchère.
Des sets de table dans les restaurants à Douarnenez, une annonce sur Leboncoin à Plouguin, des vidéos Youtube à Mortain-Bocage, La Garnache, Cherruix, Saint-Michel-de-Maurienne ou Nozeroy… En ces temps de pénurie de généralistes, les communes ne manquent pas d’inventivité pour attirer la perle rare. Mais au-delà des belles publicités, les collectivités sont aussi de plus en plus nombreuses à promettre monts et merveilles aux potentiels candidats. Quand elles ne décident pas de salarier les médecins, elles mettent dans la balance tout un tas d’avantages en nature qui font ressembler leurs propositions à une liste au Père Noël.
Des médecins courtisés très tôt
Et la drague commence de plus en plus tôt. Certaines communes repèrent en effet leurs futurs généralistes dès les études. La mairie de Voujeaucourt (Doubs) vient ainsi de faire signer à Arthur Poirat, interne de médecine générale de première année, un accord pour venir s’installer dans la ville une fois son internat achevé à l’automne 2022. En échange, la municipalité lui versera une bourse de 500 euros par mois durant l’intégralité de son internat, soit 18 000 euros au total. Une sorte de CESP (contrat d’engagement de service public) bis mais à l’échelle locale. Le jeune homme de 26 ans pourra d’ailleurs cumuler les deux aides, nationale et municipale, puisque la commune fait partie d’une zone d’intervention prioritaire. Arthur Poirat est du coin et désirait s’installer là. S’il change finalement d’avis, il devra rembourser les sommes perçues. Le package offert par la mairie ne prévoit pas pour l’instant explicitement la gratuité du loyer pour l’installation future, mais la maire de la commune est prête à le faire en cas de réélection.
Le gîte, le couvert… et le bateau
La mise à disposition gracieuse des locaux est désormais un prérequis, mais ce n’est souvent qu’un début. À l’été 2018, las de ne pas trouver de généraliste, malgré les aides à l’installation possibles sur son territoire, Pierre Géhanne, maire de la commune de Barneville-Carteret (Manche) a alors tenté le tout pour le tout. Pour convaincre l’heureux élu, l’édile proposait un logement face à la mer, mais aussi la mise à disposition d’un bateau de 12 mètres, le sien, avec une place au port, ainsi qu’un repas dans un restaurant étoilé de la commune. Cette proposition volontairement provocatrice – mais très sérieuse – avait fait mouche puisque quelque temps plus tard, plusieurs médecins s’étaient manifestés pour montrer leur intérêt. Une généraliste, déjà logée gratuitement dans une commune voisine, a ainsi profité de l’offre pour s’installer à Barneville-Carteret.
110 000 euros pour venir s’installer
De l’autre côté de la France, dans le Haut-Rhin, après avoir épuisé toutes les autres options, la commune d’Huningue s’est résolue à sortir le chéquier. Après deux ans et demi sans généraliste, son conseil municipal a voté en septembre le versement de 50 000 euros au Dr Lieu pour qu’il vienne s’installer dans son pôle de santé. Éligible aux aides à l’installation, il touchera le même montant de l’ARS. Si le jeune praticien devra payer le loyer et les charges lui-même, comme les autres professionnels du pôle, la ville de 7 000 habitants participera financièrement à l’équipement du cabinet, à hauteur de 10 000 euros. Malgré l’agacement de certains élus, le conseil municipal a décidé de céder aux exigences du praticien.
Des aides contestées
Mais les maires n’ont pas toujours les coudées franches pour offrir aux généralistes tous ces avantages. En janvier 2018, la commune de Châteaubriant (Loire-Atlantique), pour « déloger » un généraliste d’un village voisin, souhaitait lui proposer la gratuité du loyer et des charges d’eau, d’électricité, de chauffage, de téléphone et d’Internet. Le praticien avait également obtenu une indemnité mensuelle de 700 euros pour frais personnels comme l’emploi d’un secrétaire médical. Mais l’opposition municipale avait alors jugé ces conditions excessives, les contreparties demandées insuffisamment contraignantes et avait refusé de voter le projet. Par ailleurs, d’après une partie des élus, ce recrutement ne permettrait pas de résoudre le problème de désert médical. Pire, ils estimaient que ces aides allaient à l’encontre de la solidarité territoriale puisqu’elles consistaient à piquer un praticien à une commune voisine, faisant partie de la même zone d’intervention prioritaire.
Tu ne convoiteras pas le généraliste de ton voisin
Cette surenchère des collectivités traduit combien la concurrence s’est exacerbée entre communes pour attirer un médecin. Cette tendance a poussé en avril 2018 plusieurs villes du Loiret à signer une charte de non-concurrence. Saint-Denis-en-Val, Saint-Jean-de-la-Ruelle et Chécy, rejointes depuis par Traînou, ont mis au point un traité de « solidarité et de responsabilité », par lequel elles s’engagent « à ne pas tenter de démarcher ou de détourner les médecins installés dans un périmètre de 30 kilomètres, au profit de leur commune ou pour le compte d’une autre commune proche ». Les mairies ne doivent pas aider financièrement directement un médecin souhaitant s’installer en libéral et pour l’embauche d’un médecin salarié, les contrats doivent être de même type et selon une grille tarifaire identique. Les signataires s’engagent aussi à « échanger et s’entraider » dans leurs recherches de professionnels de santé.