Humeurs

Une rentrée difficile pour la médecine basée sur la science

Publié le 12/09/2025
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Vu par Catherine Bertrand-Ferrandis – Cinq ans après le début de la crise Covid, et huit mois après le retour de Trump, les sciences médicales ont la gueule de bois.

Crédit photo : @PRELAUD

Après les tumultes de la pandémie et les prises de parole parfois inconsidérées de scientifiques pressés de rapporter des certitudes là où il n’y aurait dû avoir que prudence et communication millimétrée, la prise de fonction du gouvernement Trump n’aide pas à regagner des points de confiance.

La marmite bout aux États-Unis

Outre-Atlantique, ce n’est pas candidement « la science » que l’on attaque mais aussi l’infrastructure qui la fait exister, produire, valider, publier, corriger. Les plus grandes universités se font couper les vivres et censurer des recherches. Le Centre pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) et les Instituts nationaux de santé (NIH) américains ont vu leur budget fondre de moitié. Leurs staffs et les experts de leurs panels se font licencier s’ils ne sont pas alignés avec la politique du nouveau ministre de la Santé, Robert F. Kennedy Junior (RFK).

Ce dernier a d’ailleurs promis, cet été, de bannir les scientifiques fédéraux qui continueraient à publier dans les grandes revues scientifiques médicales, au motif qu’elles seraient corrompues. Et il a publiquement demandé le retrait d’une étude danoise (1) portant sur 1,2 million d’enfants nés entre 1997 et 2018 qui conclut à l’absence de lien entre l’aluminium contenu dans les vaccins et une cinquantaine de maladies auto-immunes et neurodégénératives.

Le monde de l’édition scientifique peine à suivre

Un écosystème scientifique robuste n’est pas un luxe académique. C’est un dispositif de santé publique. S’il se délite, cela veut dire moins de repères, plus d’opinions, davantage d’inertie clinique.

Une étude parue en août dans PNAS (2) documente la montée en puissance d’organisations industrielles de la fraude à la publication scientifique. Les auteurs mettent au jour un vaste réseau d'éditeurs et d'auteurs qui coopèrent pour parvenir à la publication d'articles scientifiques qui échappent aux normes traditionnelles d'évaluation par les pairs.

La fraude à la publication scientifique ne se limite donc pas à des usines à articles et des revues prédatrices, et elle augmente à un rythme bien supérieur à celui de la science légitime.

Un terrain de confiance fragilisé

En avril dernier, l’agence de communication Edelman présentait les données françaises de son dernier sondage « Confiance et santé » (3). Bonne nouvelle : 82 % des Français font confiance à leur médecin pour leur dire la vérité sur les questions de santé et sur la meilleure façon de se protéger.

Mais côté mésinformation, le bât blesse : un tiers des Français (32 %) disent regretter au moins une décision prise sur la base d’informations erronées ou trompeuses. Et lorsqu’on demande le top 5 des sources de ces informations erronées, la première place est occupée par… « mon docteur ».

Conclusion : confiance dans nos professionnels de santé, oui, mais dans leurs conseils, pas totalement…

Un mois de septembre à haut risque

RFK, vaccinosceptique notoire, a annoncé la mise en place d’une étude pour « découvrir les causes de l’autisme d’ici septembre 2025 ». Il l’a confiée à David Geier, illustre pour ses « études » liant vaccins et autisme, très largement critiquées pour leur méthodologie, manipulations de données et éthique (4).

On ne sait pas trop si une publication sera réellement faite ce mois-ci. Mais si c’est le cas, il y a peu de doute sur les tendances vaccinosceptiques dont elle sera teintée, et sur les doutes épistémiques qu’elle continuera d’instiller.

Nous devons parler de méthode scientifique, et pas seulement de résultats, avec patients et collègues

Que faire pour ne pas se laisser happer ? Voici trois idées. Tout d’abord, parler de méthode scientifique, et pas seulement de résultats, avec patients et collègues : le « comment on sait » est plus que jamais central. Ensuite, revenir aux fondamentaux de hiérarchie de la preuve : privilégier les recommandations d’organismes collégiaux, revues systématiques et essais de qualité. Un éditorial tonitruant ou un préprint viral ne font pas une pratique. Enfin, vérifier la « trajectoire » de l’article : a-t-il fait l’objet d’une expression of concern ? D’une rétractation ? D’un correctif ? Suivre ces signaux fait désormais partie intégrante de la lecture critique car les traces de la fraude se voient après coup.

La bonne nouvelle ? Des leviers existent. La médecine française conserve une crédibilité élevée, et les patients font encore confiance à leur médecin. À condition que nous ne laissions pas d’autres écrire, à notre place, les règles.


(1) https://www.acpjournals.org/doi/10.7326/ANNALS-25-00997
(2) https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.2420092122
(3) https://www.edelman.fr/sites/g/files/aatuss341/files/2022-09/CP%20Trust…
(4) https://www.nytimes.com/interactive/2025/08/19/opinion/vaccines-autism-…


Source : Le Quotidien du Médecin