Comme chacun le sait, les termes syntaxe et sémantique désignent deux des piliers d’une langue parlée. Notre langue est actuellement sous la menace d’un grave déclin civilisationnel dont nous sommes devenus spectateurs impuissants. L’intelligence artificielle (IA), après une période de latence de quelques années, a lancé récemment son application « grand public » : le chatGPT dont la machine médiatique a largement parlé. Cette application a fait éclater au grand jour l’imminence du bouleversement socioprofessionnel copernicien à l’instar des précédentes métamorphoses qui ont scandé l’Histoire occidentale de la modernité : imprimerie, machine à vapeur, industrie textile. Il faut en effet sans aucun doute s’inquiéter, mais nous avons les moyens de résister avec calme par des arguments de bon sens. La machine reproduira-t-elle l’ensemble de l’intelligence humaine (IH) avec un tel raffinement, alors qu’elle puise ses informations dans l’abondante littérature scientifique et romanesque et non pas à partir d’une expérience vécue ?
IA et syntaxe, un couple idéal ?
C’est là que se niche le leurre. Le rapport généré par chatGPT4 est déjà (en attendant plus encore) un modèle de perfection syntaxique au point de tromper la vigilance d’un professeur ou même d’un éditeur. Le polissage d’un style sans âme, une orthographe impeccable (rarissime de nos jours!!), auraient pourtant de quoi les alerter. Le mot syntaxe provient du latin syntaxis lui-même emprunté au grec ancien sùntaxis qui signifie ordre ou arrangement. En bref, la syntaxe, c’est la règle de base qui régit la construction des mots et des phrases. C’est un cadre désincarné qui ne préjuge ni du style ni du fond de la pensée de celui qui cherche à se faire comprendre à l’écrit comme à l’oral. Disons dès maintenant que la syntaxe est le vestibule de la sémantique.
Le logiciel conversationnel est-il capable de franchir ce premier obstacle ? Oui, et avec dextérité, puisqu’il opère sur un corpus de textes qu’il ratisse mécaniquement au moyen de l’algorithme d’apprentissage lexical pour lequel il a été programmé. Il n’a pas les moyens de s’interroger sur le sens des mots qu’il emploie, et encore moins de réfléchir. Il lui suffit alors de conjuguer sélection, mimétisme et plagiat en fonction du déclenchement de la question précise qui lui a été posée. La machine réagit selon un modèle mathématique avec une entrée dont il sortira une prédiction. Autrement dit, le logiciel entretient une apparence, sans l’essentiel : le contenu ressenti. Si donc on s’en tient à la seule syntaxe, l’IA franchit l’obstacle haut la main, et pour reprendre la métaphore du couple, disons que voilà un mariage apparemment harmonieux ! Mais, attention au réveil brutal : le petit matin des désillusions qui conduisent tout droit au divorce pour seul motif d’un manque de profondeur sémantique, est de mon point de vue recevable !
IA et sémantique, un couple authentique ?
C’est dans la branche sémantique du langage que l’IA rencontre plus de difficulté à nous fournir la juste signification de sa tâche générative. Dans la langue française, la performance informatique est double : extraire la bonne réponse à la question posée par l’utilisateur, et en faire la traduction puisque les bases de données sont majoritairement anglophones et spécialement dans le champ scientifique. L’Académie française donne comme définition du terme sémantique : « le sens, la signification des éléments d’une langue ». Le terme est emprunté au grec ancien : sêmantikos = qui signifie. Or le sens d’un mot dépend justement de son contexte culturel.
La machine, qui, rappelons-le, ne réfléchit pas, est-elle capable d’effectuer ce tour de force, alors que sa compétence s’exerce uniquement dans le champ syntaxique ? De fait, le choix sémantique dépend du contexte de l’unité lexicale dans laquelle il est saisi, ce qui implique un choix entre ses sens abstrait ou figuré. Ce sont les mots environnants qui lui fournissent les indices sémantiques de repérage d’un mot-clé. Le choix d’un mot dépend aussi de ses traits distinctifs : le mot « prothèse » est l’exemple type. Si dans le contexte lexical où il se déploie, le robot ne fait pas la distinction entre prothèse articulaire et prothèse pour amputation il fournira une réponse inintelligible, en tout cas à un usager occasionnel. On pourrait multiplier les exemples qui démontrent qu’en matière de sémantique le robot avance dans une jungle quasi amazonienne.
Ainsi l’IA résoud des problèmes abstraits complexes, et de son côté l’IH fait face à des situations vécues. Face à un mot ambigu dont le sens est double, une phrase mal fagotée, elle les réintègre spontanément dans leur contexte sans que l’unité lexicale dans laquelle ils se situent soit incomprise. En revanche, dans la même situation, l’IA est dans l’incapacité d’effectuer d’elle-même la correction puisqu’elle est sous l’emprise de son logiciel.
De plus, pour chacun d’entre-nous, un mot, une phrase sont la partie émergée de notre histoire individuelle, inséparable de notre corps. La partie immergée est le poids cognitif acquis engrangé dans notre cerveau. Pour l’IA, un mot, une phrase ne sont pas que des repères linguistiques. Étant désincarnée, elle évolue sous le régime tyrannique de l’emprunt lexical qu’elle restitue sans conscience grâce à sa puissance de calcul, et à une association d’algorithmes.
À l’opposé, l’être humain et son intelligence sont toujours engagés dans une situation où les faits sont en place, et c’est adossé à ces faits concrets qu’intervient sa « plateforme autobiographique » pour comprendre, mesurer et agir avec des critères moraux et éthiques que la société lui a inculqués.
Conclusions
Comparer IA et IH, par le biais du langage est une façon enrichissante d’explorer le fonctionnement de notre propre pensée.
L’IA est une entité incorporelle (inhumaine et non divine) parce que sans engagement, sans responsabilité. Elle est donc dépourvue de tout sens moral (amoralité pas immoralité) auquel s’ajoute évidemment une absence de conscience éthique puisque désincarnée.
Mais l’IA, est un formidable adjoint. Utilisons-la comme un assistant dont il faut contrôler les tâches qui lui sont confiées, comme nous le faisons habituellement avec nos jeunes collaborateurs en période d’apprentissage.
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