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Dossier

Notés mais pas coulés !

Par Stéphane Lancelot - Publié le 29/11/2019
Notés mais pas coulés !

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Tierney /stock.adobe.com

On peut évaluer son repas, son hôtel, son livreur… mais aussi son médecin ! Depuis plusieurs années déjà, les patients ont la possibilité de noter leur généraliste. Ce qui agace ces derniers, sans toutefois trop affecter leur pratique.

« Imbu de lui-même », « débordé et peu à l’écoute », « dialogue et conseils avisés », etc. Les médecins n’échapperont pas à la notation et aux avis en ligne, et tant pis si ça ne leur plaît pas. Apparu à la fin du siècle dernier, ce phénomène s’est progressivement imposé dans notre société.

En 2008, alors que cette pratique était encore balbutiante, une enquête de l’Ipsos révélait que 51 % des Français étaient favorables à la notation des médecins. Désormais, 85 % de la population approuve la publication d’indicateurs sur la qualité des soins fournis par les médecins libéraux, selon une étude menée en avril 2019 par l’institut Kantar. Tous les patients ne s’y sont pas encore mis, mais 43,7 % des 387 médecins ayant répondu à une enquête sur legeneraliste.fr disent avoir déjà été la cible de critiques via la notation en ligne. 

Début novembre, le hashtag #Balancetonmédecin, mot-clé via lequel de nombreux internautes ont dénoncé les mauvais comportements de certains praticiens sur Twitter, a confirmé que les médecins devaient composer avec l’avis de leurs patients. 

L’ogre Google

Si plusieurs plateformes d’évaluation de médecins ont tenté leur chance (notetondoc.com, quimesoigne.com – qui ont fermé depuis – et le dernier en date MediEval4i), le portail principal de notation des praticiens n’est autre que Google. Selon une étude menée par le généraliste Bertrand Legrand, sur près de 180 000 libéraux de premier recours, environ 67 000 (dont près de 29 000 généralistes) ont une fiche Google My Business à leur nom, soit 37,1 %. Et ce, sans forcément l’avoir demandé.

Doctolib n’a lui pas souhaité s’engager sur ce terrain, et promet de ne jamais le faire. « On ne peut pas évaluer un médecin comme on évalue un service marchand », explique la start-up.

Un préjudice moral

Les avis en ligne ont-ils des conséquences sur la pratique des médecins ? Pas forcément, à en croire l’enquête menée sur legeneraliste.fr. Ainsi, 66,9 % des répondants indiquent que la notation en ligne n’a pas d’influence. À peine un quart (22,2 %) répond par l’affirmative.

Parmi eux, certains voient dans la notation une source de motivation. « Cela force le praticien à considérer chaque patient comme un être spécifique, et non pas un patient standard. Et aussi à bien cerner sa demande et y répondre avec humanité », note un répondant. « Je fais plus attention au niveau relationnel », abonde un autre.

Pour d’autres, l’évaluation place les patients en position de force et remet en cause la position de sachant du médecin. « Avec la notation, nous devons supporter des anomalies de comportements (…). Certains, même s’ils sont rares, attendent un service et sont tentés de se venger en cas d’insatisfaction... », relève un généraliste. Un autre confie « craindre l’avis malveillant ».

La notation semble en revanche avoir peu d’effet sur la fréquentation des cabinets, à part dans certains cas extrêmes. « Si vous avez trois ou quatre avis négatifs, les gens n’y prêtent pas trop attention, dit le Dr Jérôme Marty, président de l’UFML-S. Mais si vous en avez 50, c’est comme pour un hôtel, vous n’y allez pas ! » Et celui-ci de citer l’exemple d’un médecin parisien, victime d’une « cabale », ayant reçu 88 notes en l’espace de trois jours. 

Plus que l’impact – difficilement quantifiable – sur la fréquentation des cabinets, les notes et avis touchent principalement le moral des médecins. L’un d’eux évoque ainsi une « perte de confiance en soi et en sa pratique ».

Des critères « parfaitement » évaluables

Gérard Raymond, président de France Assos Santé, en convient : les évaluations sur Google, d’une à cinq étoiles, « ne sont certainement pas satisfaisantes » car dénuées de valeur scientifique. S’il n’est pour lui « pas question de remettre en cause le diagnostic, le patient n’étant pas un expert scientifique », Gérard Raymond estime toutefois que l’écoute, l’empathie ou encore la bienveillance « peuvent parfaitement être évaluées ».

Assurant comprendre la réticence des médecins vis-à-vis de la notation, le responsable associatif plaide donc en faveur de l’élaboration d’indicateurs par tous les acteurs « pour contrecarrer les appréciations subjectives consultées par bon nombre de patients. » Selon Gérard Raymond, cela ne peut qu’entraîner une « bonification » de la relation médecin-malade. « Un soignant n’est pas simplement un ingénieur qui dit "votre taux d’hémoglobines est de tant" et "c’est tant la consultation", souligne-t-il. Cela va donc amener l’ensemble des soignants à rentrer dans une projection beaucoup plus humaniste. »

La profession a dû s’organiser

Face à ces avis en ligne, difficiles à supprimer et pas toujours pertinents, la profession a été contrainte de s’adapter. Depuis quelques mois, l’agenda en ligne fondé par le Dr Bertrand Legrand, Vitodoc, propose ainsi de gérer l’identité numérique des médecins.

Fréquemment interpellé au sujet d’avis en ligne, l’Ordre a de son côté publié en 2018 un guide pour aider les praticiens à préserver leur réputation numérique, qui explique notamment comment répondre aux évaluations (ce que n’ont déjà fait que 11,4 % des praticiens sondés par Le Généraliste). Avec une difficulté majeure : ne pas trahir le secret médical. « Ces avis sont terribles. Les médecins sont marqués au fer rouge et ne peuvent pas répondre sans le rompre », estime le Dr Marty. 

En mars dernier, son syndicat a écrit à Google France pour réclamer l’interdiction de « toute publication d’avis (sur un médecin) sous anonymat ». Sans succès.

Dossier réalisé par Stéphane Lancelot et Camille Roux