« Père » (Strindberg), à la Comédie-Française

Un spectacle impressionnant

Publié le 08/10/2015
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Michel Vuillermoz et Martine Chevallier

Michel Vuillermoz et Martine Chevallier
Crédit photo : V. PONTET/Coll. COMÉDIE-FRANÇAISE

Cette pièce d’August Strindberg est l’une des plus terribles du répertoire occidental. Après avoir, à la demande de Muriel Mayette, tourné un film d’après la mise en scène de Piotr Fomenko de « la Forêt », d’Ostrovski – et le résultat est magnifique –, Arnaud Desplechin a été invité par Éric Ruf à ouvrir la saison de la Comédie-Française. Il a hésité entre plusieurs pièces. Il a choisi une œuvre magistrale, « Père », dans la traduction d’Arthur Adamov.

La résumer est l’appauvrir, mais on peut tout de même rappeler l’argument. Le Capitaine (Michel Vuillermoz), officier passionné de recherche, qui s’est réfugié dans son bureau, entouré de livres et d’archives, est marié à Laura (Anne Kessler), une femme en souffrance, délaissée par son mari qui pourtant l’aime. Ils ont une fille, Bertha (Claire de la Rüe Du Can). Ils ne sont pas d’accord sur son avenir. Il veut l’envoyer à la ville et qu’elle devienne institutrice, elle veut la garder auprès d’elle et qu’elle développe ses talents de peintre. Une dispute et un doute qui se glisse comme un venin d’une toxicité épouvantable. Et si le Capitaine n’était pas le père de Bertha…

Autour du couple, la fidèle nourrice, Margret (Martine Chevallier), le frère de Laura, qui est pasteur (Thierry Hancisse), le Dr Oestermark (Alexandre Pavloff), un soldat, Nöjd (Pierre Louis-Calixte). Dans un décor monumental de Rudy Sabounghi, qui dit bien la sévérité du Nord et la séparation des époux (les hommes, le gynécée) et qui traduit le monde protestant, avec des lumières froides (Dominique Bruguière), des costumes stricts (Caroline de Vivaise), Arnaud Desplechin dirige à la perfection les comédiens. Ce sont de très grands artistes et, dans tous les rôles, les propositions sont passionnantes.

On est heureux de retrouver Pierre Louis-Calixte, si juste dans une silhouette fugace. La jeune Claire de la Rüe Du Can est touchante, déchirée qu’elle est par la « guerre des cerveaux » de ses parents. Alexandre Pavloff donne au médecin quelque chose d’une violence retenue, d’une rugosité très puissante. Il n’est peut-être pas exactement celui qu’a écrit Strindberg, mais, personnellement, on l’a trouvé remarquable, comme l’est Thierry Hancisse dans le rôle du pasteur, qui est tourmenté et partagé entre ses convictions et ses attachements.

Quelle grande pièce ! Ici, tout personnage est face à un dilemme, tout personnage est menacé dans son intégrité par le conflit toxique qui sépare les époux. La nourrice de Martine Chevallier, elle aussi, est magnifique. Elle a élevé le Capitaine, et c’est elle qui, à la fin, le ligote, littéralement. Terrible, terrible scène d’un homme redevenant un petit enfant bercé par sa nounou… Anne Kessler flamboie (pas de couleur dans ce monde, sauf la flamme d’une lampe et sa robe). Elle est d’une sincérité bouleversante face à ce grand homme autoritaire et tellement vulnérable. Michel Vuillermoz est d’une vérité, d’une profondeur telles que l’on n’a que compassion pour lui.

On aime le cinéma de Desplechin. On aime sa manière d’affronter crânement et en toute humilité ces grands fauves de comédiens et cette pièce-monstre. Un spectacle qui est un accomplissement et fait longtemps réfléchir.

Comédie-Française, salle Richelieu, en alternance jusqu’au 4 janvier. Durée : 1 h 55 sans entracte. Tél. 01.44.58.15.15,

www.comedie-francaise.fr.

Armelle Héliot

Source : Le Quotidien du Médecin: 9439