« Les Heures souterraines », d’après Delphine de Vigan

Solitudes urbaines

Publié le 28/05/2015
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Une cadre et un médecin en souffrance

Une cadre et un médecin en souffrance
Crédit photo : F. RAPPENEAU

Le large plateau de la salle Réjane du Théâtre de Paris est occupé principalement par un écran, sur lequel sont diffusées des créations vidéo de Renaud Rubiano, dans une scénographie de Jean Haas et des lumières d’Éric Soyer. Un environnement urbain avec, notamment, le sentiment que nous sommes dans le métro ou que nous avançons sur les trottoirs de la ville. Ou plus exactement qu’y circulent les deux personnages, dans des sons orchestrés par François Leymarie.

Elle, Mathilde, a un petit coin bureau, à cour. Elle est cadre dans une entreprise. On la découvre alors qu’elle est sous le joug vénéneux d’un supérieur hiérarchique qui l’enferme dans sa folie de harcèlement moral et l’ignore ou l’humilie. Mathilde n’a plus rien à faire et pourtant elle continue de se rendre au travail et s’accroche désespérément. Lui, Thibault, médecin urgentiste, sous pression forte, n’a jamais cinq minutes pour souffler. Investi, généreux. Toujours entre deux lieux, entre deux portes. Toujours en mouvement. En souffrance, lui aussi.

Anne Loiret et Thierry Frémont n’ont pas la tâche facile : ils sont ensemble sur le même plateau, en même temps. Mais ils ne jouent jamais ensemble. Les deux personnages ne se croisent jamais. Le spectateur aimerait qu’enfin ils se rencontrent et se parlent. Mais Delphine de Vigan ne l’entend pas ainsi. Dans « les Heures souterraines » (JC Lattès), elle nous montre la cruauté du monde et c’est ce qui a intéressé Anne Kessler, sociétaire de la Comédie-Française, qui a adapté le livre avec tact. Elle est une très fine directrice de jeu*.

Elle a choisi deux interprètes sensibles. Anne Loiret dans la retenue, la tension, le cran de Mathilde qui ne veut pas craquer, qui fait face avec sa blondeur et son visage de madone. Juste dans la voix, juste dans la manière de bouger, d’attraper son sac, Anne Loiret suggère le grand désastre intérieur d’une femme qu’un méchant narcissique écrase. Thierry Frémont, vif, nerveux, donne à Thibault une humanité profonde. Anne Kessler les dirige au soupir près. Le spectacle demeure un peu froid, à cause de cette présence de deux solitudes terribles. Mais cette froideur traduit la dureté du monde, dans une grande ville, aujourd’hui et maintenant, et l’on est très touché par ces deux comédiens ultrasensibles.

Théâtre de Paris, à 21 heures du mardi au samedi, le samedi à 17 h 30 et le dimanche à 15 h 30. Durée : 1 h 30. Tél. 01.48.74.25.37, www.theatredeparis.com.

* N’oubliez pas une autre mise en scène d’Anne Kessler, « Des fleurs pour Algernon », au Petit-Saint-Martin avec le magnifique Grégory Gadebois.

Armelle Héliot

Source : Le Quotidien du Médecin: 9415