Lorca à la Comédie-Française

Résonances actuelles

Publié le 04/06/2015
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L'enfermement des femmes

L'enfermement des femmes
Crédit photo : B. ENGUÉRAND/COMÉDIE-FRANÇAISE

On monte rarement Federico Garcia-Lorca (1898-1936). Son œuvre est brève et profonde, sa poésie très particulière. Il n’a jamais été oublié et lorsqu’il ouvrit le Théâtre national de la Colline, Jorge Lavellli monta « El Publico » avec beaucoup de force. La saison dernière, on a loué la mise en scène de « Yerma » par Daniel San Pedro, avec Audrey Bonnet dans le rôle-titre. « La Maison de Bernarda Alba » a été jouée, autrefois, par des actrices de la Comédie-Française. C’était à l’Odéon avec Annie Ducaux en Bernarda et la toute jeune Isabelle Adjani dans le rôle d’Adela ; Robert Hossein, qui signait la mise en scène, l’avait découverte.

La pièce raconte comment Bernarda, après son deuxième veuvage, décide pour ses filles d’un deuil de huit années. L’aînée, du premier lit, qui a déjà 39 ans, prépare pourtant son mariage avec Pepe le Romano (Elliot Jenicot). Mais il a séduit Adela, et la tragédie est en marche.

Lilo Baur, qui a donné de très beaux spectacles au Français (« le Mariage », de Gogol, et « la Tête des autres », de Marcel Aymé), s’appuie sur une traduction vive de Fabrice Melquiot et sur une équipe artistique très inspirée. Le décor est principalement un immense moucharabieh de bois noir qui ferme la maison mais permet d’épier. Des nuages s’y accrocheront un moment et on apercevra l’extérieur. Un mur de pierres, des moissonneurs qui défilent et chantent, d’autres scènes. Plusieurs générations se côtoient dans la pièce : la grand-mère, un peu larguée, Florence Viala, les femmes qui tiennent la maison, Claude Mathieu, savoureuse, et Elsa Lepoivre, méconnaissable et extraordinaire, les visiteuses, notamment Sylvia Bergé, parfaite.

Une vision originale

C’est Cécile Brune qui incarne Bernarda. Elle lui donne une lumière et une humanité intéressantes. Les filles sont Claire de la Rüe du Can, Jennifer Decker, Coraly Zahonero. Véronique Vella s’est blessée à la veille de la première et a été remplacée dans la partition de l’aînée par une étourdissante Anne Kessler. Elle est formidable ! Adela, la toute jeune, sensuelle, rêveuse, grande figure tragique aussi, est portée par le talent rayonnant d’Adeline d’Hermy. Elle danse dans un tourbillon de plumes, comme en un rêve. Elle a quelque chose d’enfantin et de mûr en même temps. Une merveille.

Lilo Baur projette évidemment cette situation d’enfermement, d’interdiction, de frustration vénéneuse, dans le monde d’aujourd’hui. Elle pense à ce que vivent les femmes aujourd’hui, non loin de chez nous. Mais elle pense surtout à Federico Garcia Lorca, fusillé deux mois après avoir écrit cette pièce universelle et belle. Un travail original et puissant, qui est une vision. On peut avoir d’autres points de vue sur la pièce. Mais le spectacle est d’une cohérence convaincante. Il est très émouvant, parfois drôle. Du Lorca « puro ».

Comédie Française, en alternance, jusqu’au 25 juillet. Tél. 0825.10.16.80, www.comedie-francaise.fr.
Armelle Héliot

Source : Le Quotidien du Médecin: 9417