DIMANCHE. 6 h 30 du matin. Comme en réponse à l’appel du muezzin, le tremblement annonciateur d’une manœuvre de mise en marche aura raison du sommeil des plus irréductibles. Un panache de fumée noire tout droit sorti de la cheminée vermillon signée Compagnie du Fleuve se délite dans un ciel encore brumeux. Amarré le long du quai Roume, à un jet de pierres de l’emblématique pont Faidherbe, « le Bou el Mogdad » s’apprête à quitter Saint-Louis.
Depuis la fin de 2005, le Bou, comme on l’appelle affectueusement ici, ancien fleuron des Messageries du Sénégal, construit par un chantier hollandais en 1950, embarque à son bord chaque semaine entre octobre et juin une cinquantaine de passagers pour une croisière « nostalgie » sur le fleuve Sénégal entre Saint-Louis et Podor (ou vice versa). À l’origine de cette initiative un certain Jean-Jacques Bancal, 53 ans, visage buriné, Saint-Louisien franco-sénégalais, descendant d’une famille de Rochefort installée ici depuis… 1805 : « Le bateau croupissait dans le delta du Saloum après avoir connu bien des aventures », confie-t-il. Avant d’ajouter : « Un déchirement. Le Bou, c’était mon enfance. Avec quelques amis nous avons décidé de le racheter et le restaurer. Une folie ! », lâche-t-il dans un soupir : « Mais quelle récompense ! Lors de sa croisière inaugurale, le 1er novembre 2005, les villageois pleuraient, applaudissaient à son passage. Le Bou fait partie du patrimoine de la région et reste un bateau mythique pour tous les habitants du fleuve frontière entre le Sénégal et la Mauritanie. »
Un sentiment que partage cet autre Saint-Louisien, Christian Valantin, 83 ans, veste de lin couleur sable boutonnée jusqu’au cou, au CV aussi long que le bras (tour à tour ambassadeur, député mais aussi directeur de cabinet de Senghor…) : « J’ai eu l’occasion de prendre le Bou en 1952 et 1953 pour me rendre à Bakel. On mettait 5 à 6 jours. Il transportait le courrier, des vivres, des matières premières mais aussi les administratifs qui regagnaient leurs postes. Il fallait voir tous ces Africains en costume blanc, c’était un spectacle, se souvient cet homme respecté. Mais quand j’ai appris que le bateau allait reprendre du service à des fins touristiques, ça m’a fait chaud au cœur. »
La renaissance de Saint-Louis
Pendant près de vingt ans, des années 1950 aux années 1970, « le Bou el Mogdad » (ainsi baptisé en l’honneur de l’interprète et conseiller auprès de l’administration coloniale du Sénégal) permit de désenclaver toute une région en effectuant d’incessants allers retours entre Saint-Louis et les populations reculées du nord du pays. À la fin des années 1960, le réseau routier progresse, villes et villages deviennent accessibles et le transport s’opère alors par camions. C’est la première mort du Bou… Mais quatre décennies plus tard, au petit matin il s’enfonce à nouveau à l’intérieur des terres au milieu des roselières, après avoir esquivé la pointe nord de la Langue de Barbarie, long cordon de sable entre fleuve et océan, où s’étend le bouillonnant quartier des pêcheurs de Guet-N’Dar et, plus au sud, l’Hydrobase d’où partit Mermoz un jour de mai 1830 pour la première traversée de l’Atlantique sud en hydravion.
Bientôt Saint-Louis n’est plus qu’un point. Difficile pour le voyageur de laisser derrière lui cette cité envoûtante à l’histoire mouvementée. « À mon retour en 1988, après plusieurs années d’absence, j’ai retrouvé une ville fantôme, totalement abandonnée », concède Jean-Jacques Bancal. Déchue de son titre de capitale en 1958 au profit de Dakar, Saint-Louis va sombrer. Mais son exceptionnel héritage architectural lui vaudra d’être classée au Patrimoine mondial par l’Unesco en 2000. Le début d’une lente renaissance pour l’ancienne capitale de l’AOF, qui aligne fièrement ses anciennes maisons de négoce blanches et ocres le long des quais.
La visite du Parc national des oiseaux du Djoudj, troisième réserve ornithologique du monde, constitue la première excursion sur le trajet. Pour les observer, on progresse à pirogue dans ce vaste sanctuaire constitué de lacs, de marigots et d’îlots où se nichent quelque 350 espèces. Au deuxième jour de navigation, un coup de corne retentit à l’approche de Rosso, poste frontière et porte de la Mauritanie occidentale avant que le Bou ne jette l’ancre à hauteur de Richard Toll, où la Compagnie sucrière sénégalaise exploite toujours plus de 8 000 hectares de canne à sucre. À bord, la vie se veut simple et sans ostentation et à 6 nœuds de moyenne, le Bou est aujourd’hui le seul navire à naviguer sur cette portion du fleuve. Au XIXe siècle, voiliers et vapeurs transitaient en nombre sur ses eaux en faisant étape dans les comptoirs coloniaux où s’échangeaient la gomme arabique, le bois de chauffe, l’huile et le vin de palme, l’ivoire et… les esclaves.
Jeudi. 13 heures. Le Bou vient de s’amarrer sur le quai de Podor sous un soleil de plomb. Plus qu’à l’étape de Dagana, aujourd’hui village wolof assoupi, les traces d’un passé florissant restent palpables dans cet ex-comptoir et poste militaire majeur. L’ancien fort restauré veille toujours sur de vénérables maisons de commerce, dont certaines sont retapées avec goût, comme la maison Guillaume-Foy, reconvertie en auberge et où, depuis sa terrasse, à l’heure du crépuscule, chacun savoure une sorte de temps suspendu face à ce fleuve chargé d’histoire.
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