Le Festival de Cannes

Huit films en quête de palme

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Publié le 19/05/2016
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Cannes-Loving

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Cannes-Personal Shopper

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Cannes-Toni Erdmann

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« Toni Erdmann », de Maren Ade

Le film est un peu trop long (2 h 40). D'ici à sa sortie (en France le 17 août), la réalisatrice allemande aura peut-être élagué son troisième long métrage, qui, tel que, est déjà fort intelligent et réjouissant. Réussir à plonger une salle de critiques aussi exigeants que souvent blasés dans une séance de fou rire collectif n'est pas un mince exploit.

Maren Ade, 39 ans, qui est aussi productrice, ressemble-t-elle un peu à son personnage principal, une femme d'affaires qui sacrifie tout à son ambition ? Ce n'est sans doute pas le cas, mais on sent qu'elle connaît de l'intérieur les problèmes des femmes qui veulent réussir. Mais le sujet n'est pas là. Il est dans la confrontation de la jeune femme et de son père, un homme amateur de plaisanteries stupides (coussin péteur et déguisements…). Il doute qu'elle soit heureuse et débarque à Bucarest, où elle travaille, pour en savoir plus, n'hésitant pas à s'immiscer dans sa vie professionnelle. C'est fin, bien vu et, dans la deuxième partie, irrésistible.

« Mademoiselle », de Park Chan-wook

Transposant « Du bout des doigts », le roman de Sarah Waters, de l'Angleterre victorienne à la Corée et au Japon des années 1930, le Sud-Coréen Park Chan-wook (« Old Boy ») signe un thriller au charme sulfureux, alliant le mystère (avec retournements de situation) et l'érotisme (essentiellement féminin, avec les belles Kim Min-hee et Kim Tae-ri). Une héritière japonaise recluse, une servante coréenne, un oncle lubrique et bibliophile et un faux comte : un quatuor à découvrir à partir du 5 octobre.

« American Honey », d'Andrea Arnold

La fascination de l'Amérique a encore frappé. La Britannique Andrea Arnold (« Red Road », « Fish Tank », « les Hauts de Hurlevent »), nous emmène sur les routes du Midwest en compagnie d'une bande de jeunes gens qui font du porte-à-porte pour tenter de vendre des magazines. Portraits vite brossés de jeunes qui ne savent pas trop quoi faire de leur vie et de ceux qu'ils rencontrent, riches méfiants, conducteurs de camions, travailleurs du pétrole, etc. En 2 h 40, la virée, que la cinéaste a tenu à faire quasiment dans les mêmes conditions que ses personnages, est un tout petit peu longue. Heureusement, il y a Sasha Lane, une débutante très convaincante, et le très pro Shia LaBeouf, dans une distribution constituée surtout de non professionnels.

« Mal de pierres », de Nicole Garcia

En adaptant, avec Jacques Fieschi, le roman de Milena Agus, transposé de Sardaigne à la Provence des années 1950, Nicole Garcia a voulu évoquer un destin de femme empêchée par son milieu d'aller au bout de son désir, de son aspiration. Une jeune fille soumise à un mariage arrangé, dont le corps exprime par la maladie les frustrations, envoyée pour une longue cure dans un établissement dans la montagne…

De facture classique, le film fait porter à Marion Cotillard, que la réalisatrice a attendue le temps (long) nécessaire, la force et l'énigme profonde du drame. L'actrice s'en sort avec son intelligence et sa sensibilité habituelles, surtout dans la deuxième partie. Alex Brendemühl et Louis Garrel sont de bons partenaires. À voir à partir du 19 octobre.

« Paterson », de Jim Jarmusch

Paterson, New Jersey, ses poètes et autres célébrités (William Carlos Williams, Allan Ginsberg, Lou Costello), ses chutes d'eau. Paterson, chauffeur de bus à Paterson, poète à ses heures, dont Jarmusch nous conte la vie quotidienne, une semaine durant. Le film a beaucoup de charme. Dont le personnage fantasque joué par Golshifteh Farahani (la compagne de Paterson), qui remplit son univers (murs, objets, vêtements) de formes en noir et blanc. Et l'interprétation, obligatoirement minimaliste, d'Adam Driver. Mais le charme suffit-il ?

« Loving », de Jeff Nichols

Une histoire d'amour, certes, et belle. Mais Loving est aussi le nom d'un homme qui a malgré lui marqué l'histoire des États-Unis : en 1967, l'arrêt « Loving v. Virginia » de la Cour suprême rend inconstitutionnelle toute restriction au mariage interracial.

Le sujet éminemment respectable a peut-être un peu bridé Jeff Nichols dans son imagination et ses audaces de cinéaste, celles qui faisaient l'originalité de « Take Shelter » ou « Midnight Special ». Mais le travail (le récit de l'affaire, la reconstitution d'époque) est fait et bien fait. Mention spéciale à Joel Edgerton (« Animal Kingdom », « Gatsby »), qui incarne à la perfection Richard Perry Loving, qui voulait seulement vivre tranquillement chez lui, en Virginie, avec la femme aimée (l'actrice éthiopienne Ruth Negga).

« Personal Shopper », d'Olivier Assayas

Maureen vient de perdre son frère jumeau. Médium, elle voudrait un signe de l'au-delà, qu'elle cherche tout en courant les boutiques de luxe au service d'un mannequin vedette. La cohabitation de supposés esprits, du spiritisme de Victor Hugo et d'Hilma af Klimt, avec l'univers de la mode la plus hype a laissé nombre de festivaliers perplexes, certains même hostiles. Il est vrai qu'on ne comprend pas très bien ce qui arrive à la jeune Américaine, de Paris à Londres et Oman. Ce qui reste du film, et ce n'est pas rien : Kristen Stewart dans tous ses états, sensible, élégante, perdue, troublante. Un film sur le deuil qui sortira logiquement à l'automne (19 octobre).

« Julieta », de Pedro Almodóvar

Le film commence par un gros plan d'un morceau de tissu rouge. On sait qu'on est chez Almodóvar et qu'un mélo va se déployer, en rouge, bleu vif et blanc. Julieta, c'est Emma Suárez et Adriana Ugarte, deux comédiennes superbes pour un personnage blessé qui se penche sur son passé. Julieta n'a plus de nouvelles de sa fille depuis 12 ans. On va découvrir peu à peu ce qui s'est passé. Le cinéaste espagnol est sobre quand il s'agit de montrer les tragédies qui marquent la vie de Julieta, jouant plutôt des réactions de ses personnages et du visage de ses actrices. On se laisse emporter. Dès à présent sur les écrans.

Renée Carton

Source : Le Quotidien du médecin: 9497