SON HISTOIRE personnelle se confond avec celle du foot. La meilleure et la pire. Issu de l’école Rodineau, à la Pitié-Salpétrière, diplômé de médecine du sport, de médecine physique et de réadaptation, spécialiste de traumatologie, il a eu « le déclic » pour le sport de haut niveau alors qu’il effectuait un stage interné à l’INSEP (Institut national supérieur d’éducation physique), en 1975. Lui-même a pratiqué et joué comme goal – « une vraie passoire », lâche-t-il en souriant.
Partageant son temps entre l’INSEP et la Clinique du sport, le Dr Alain Simon a décroché son premier contrat d’équipe en 1982, avec le Paris-Saint-Germain. Il y est resté dix ans, avant de retrouver le même club en 2001, jusqu’en 2007. « Au PSG, j’ai réalisé un rêve, moi qui adorais ce sport depuis l’enfance, raconte-t-il. Les joueurs avaient mon âge. J’étais leur copain, nous vivions dans une ambiance familiale, sans star system. L’argent n’avait pas encore fait ses ravages. Nous nous promenions dans les rues sans service d’ordre. Les joueurs avaient beau être professionnels, ils ne subissaient pas la pression, un certain nombre d’entre eux faisaient même des études supérieures. Il y avait parmi eux des kinés et même un avocat. Et aucun supporter raciste et fascisant ne venait gâcher cette ambiance bon enfant. » Une toute autre époque.
Cette expérience trentenaire a permis au médecin d’observer aux premières loges à l’évolution, pour ne pas dire la dérive, qui a emporté les hommes et les équipes jusqu’aux événements d’Afrique du Sud, cet été : depuis la sélection entachée de triche, avec la main de Thierry Henry, lors des éliminatoires contre l’Irlande, en novembre 2009, le premier match inquiétant contre l’Uruguay (0-0), les insultes au vestiaire contre Raymond Domenech, l’exclusion de Nicolas Anelka, la chasse au traître, la grève-mutinerie de l’entraînement et l’échec final devant l’Afrique du Sud (2-1). Bref, l’inexorable naufrage des Bleus.
« Les joueurs ont disjoncté ».
« Je comprends très bien le ressentiment qui s’est emparé de l’opinion publique devant un tel naufrage, confie le Dr Simon, à l’exact inverse de ce qui s’était passé lors de la montée au pinacle de 1998. Tout s’est écroulé. L’horreur. Les joueurs en sont sortis dans la honte générale. À commencer par la leur. »
Pourtant, « ce scénario-catastrophe n’était pas écrit d’avance, estime le médecin. Au contraire, lors du stage en altitude, à Tignes, au mois de mai, j’avais trouvé l’ambiance plus que bonne et nous étions nombreux alors à croire en nos chances, malgré les résultats précédents. Et puis le match nul contre l’Urugay nous a douchés. Je pense aujourd’hui que si nous avions marqué ce jour-là, nous aurions vécu ensuite une tout autre Coupe du monde. C’est la défaite qui a créé la zizanie. Mais, en foot comme ailleurs, on ne réécrit pas l’histoire. »
« Les joueurs ont disjoncté, constate le Dr Simon. En huis clos dans leur hôtel de luxe, coupés du reste du monde, ils ont été emportés dans une parano ridicule. Tout a été focalisé sur la personne du coach. »
Ce sélectionneur objet de tous les ressentiments, le médecin, aujourd’hui encore, refuse de l’accabler. « Quand j’ai succédé en 2008 à Jean-Pierre Paclet, je ne le connaissais pas personnellement. J’ai peu à peu découvert un homme intelligent et réaliste, qui accorde sa confiance en fonction des événements. En deux ans, nous avons collaboré sans aucun nuage. Chaque fois que je lui ai notifié un avis ferme sur un joueur, il s’y est rangé. » Le médecin des Bleus sera-t-il le dernier supporteur de Domenech ?
Immatures.
Lui-même n’a pas rencontré de problème personnel avec aucun des joueurs. « Je tutoyais la moitié d’entre eux. Je les suivais individuellement, en relation continue avec les médecins de leurs clubs respectifs. Pour cela, nous utilisons Askamon, un logiciel d’échange de dossiers médicaux très efficace. Dans les décisions d’aptitude, je ne crois pas avoir jamais eu affaire à des trucages de leur part. » Somme toute, le médecin et les sélectionnés « s’aimaient bien ». Aucun problème lié à un manque de respect n’a compliqué leurs relations. Tout au plus, des résistances se sont-elles parfois exprimées lors de conseils dispensés sur l’hygiène de vie : « Par exemple, ils ne supportaient pas que je proscrive le Coca lors des repas et protestaient de manière un peu enfantine : "Doc, on fait ce qu’on veut !" Personne n’a le droit, affirment-ils, de les braquer. C’est sans doute le fait de structures de personnalités relativement immatures. Mais certains sont des adultes intelligents. »
Le praticien aurait-il pu prévenir le psychodrame qui s’est emparé du groupe ? Et intervenir pour l’empêcher ? Fin connaisseur du milieu, le Dr Jean-Pierre Paclet (lire aussi ci-dessous) estime pour sa part qu’« il aurait fallu pour cela un psychiatre exercé à désamorcer les conflits relationnels aigus ». « En fait, selon le Dr Simon, le vrai psy de l’Équipe de France, c’est le coach. Pas le médecin. D’autant moins, précise-t-il, que le médecin est certes immergé au sein du groupe pendant plusieurs semaines, mais, statutairement et pratiquement, il ne participe pas aux réunions de groupe, ni aux séances d’explications et autres briefings. » Du reste, le Dr Simon n’a pas été consulté quand ont débarqué en Afrique du Sud les responsables, en tête desquels la ministre de la Santé et des Sports, Roselyne Bachelot.
À son point de vue, « l’argent reste incontestablement le principal facteur explicatif de la crise ». Mais Alain Simon ne veut pas accabler les joueurs et s’interroge : « Si, à 20 ans, on m’avait donné 100 000 euros par mois, est-ce que moi-même, le premier, je ne me serais pas mis à flamber en achetant des voitures de sport ? N’aurais-je pas perdu aussi le sens des réalités ? »
Ordonnances.
Quand on lui demande son ordonnance pour soigner le foot malade, c’est tout naturellement qu’il évoque encore l’argent : « Sans doute conviendrait-il de revoir les prétentions salariales à la baisse. Les Britanniques, dont les clubs sont au bord du gouffre financier, pourraient émettre un premier signal. Ce serait le commencement du retour à la sagesse. » Une autre mesure thérapeutique serait, ajoute-t-il, « la création d’une charte. Les sélectionnés auraient obligation d’y souscrire et ils s’engageraient à des pratiques sportives (obligation d’entraînement), au respect de règles de sécurité (port de protège-tibia) ainsi que de bonnes conduites avec le public (signature des autographes lors des rencontres, etc.). »
Mais la première ordonnance signée par Laurent Blanc, le successeur de Raymond Domenech, a été le départ et le renouvellement de la totalité du staff. Médecin compris. Alain Simon se l’est vu notifier oralement entre deux portes, à l’issue d’un point de presse, alors qu’aucun grief ne lui était adressé. « Je ne m’y attendais pas du tout, confie-t-il. Pendant huit jours, j’en ai eu gros sur la patate. » « Ce n’est pas nouveau, commente le Dr Paclet, le médecin d’équipe est traité comme la dernière roue du carrosse, jetable sans justificatif ». Plus sobrement, le Dr Simon observe que « c’est la loi du très haut niveau : le sélectionneur est un fusible qui saute en cas de coup dur et tout son staff dégage avec lui. Après deux évictions au PSG, c’est mon troisième départ; je suis devenu blasé. »
DJ et médecin, Vincent Attalin a électrisé le passage de la flamme olympique à Montpellier
Spécial Vacances d’été
À bicyclette, en avant toute
Traditions carabines et crise de l’hôpital : une jeune radiologue se raconte dans un récit illustré
Une chirurgienne aux nombreux secrets victime d’un « homejacking » dans une mini-série