Le festival de Cannes

Beaucoup de battements de cœur

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Publié le 29/05/2017
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Cannes-L'Amant double

Cannes-L'Amant double
Crédit photo : DR

Cannes-«120 battements par minute »,

Cannes-«120 battements par minute »,
Crédit photo : CELINE NIESZAMER

Cannes- In the Fade

Cannes- In the Fade
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Cannes-Happy Time

Cannes-Happy Time

On n'a pas fait de vraies découvertes, mais beaucoup d'œuvres nous ont touchés, remués, sinon convaincus. À commencer par « 120 battements par minute », de Robin Campillo, qui évoque les militants d'Act up - dont il a fait partie -, en lutte, au début des années 1990, pour rendre visibles les malades et la maladie. Plus qu'un témoignage, c'est un grand moment de vie, d'émotion et d'intelligence. Formidable incarnation collective, dont tous les acteurs sont à louer, « 120 battements par minute » est aussi l'histoire de quelques-uns, amours et mort mêlés. Avec un humour du désespoir qui reste une leçon (sortie le 23 août).

Dans la rubrique « Le monde tel qu'il va… mal », « In the fade », de l'Allemand d'origine turque Fatih Akin, ne manque pas de force, grâce en particulier à sa comédienne Diane Kruger. Le cinéaste a ressenti le besoin de faire ce film, explique-t-il, après les meurtres commis en Allemagne contre des personnes d'origine turque par des membres d'un groupuscule néonazi. En victime qui n'obtient pas justice, Diane Kruger joue de toutes les nuances de la douleur et du courage, du désespoir et de la détermination.

On a aimé aussi « Rodin » (déjà en salles), car Jacques Doillon, avec la solide complicité de Vincent Lindon, a su saisir le sculpteur dans toute la puissance et les doutes de son inspiration créatrice, des « Portes de l'enfer », sa première commande publique, au « Balzac » révolutionnaire qui fut tant critiqué de son vivant et dont il ne fut satisfait qu'au bout de longues années de travail. Du coup, ses amours, même avec son élève et collaboratrice Camille Claudel (Izia Higelin) paraissent accessoires !

Déception en revanche, pour rester dans l'évocation de personnages réels, avec « le Redoutable » de Michel Hazanavicius. Certains ont aimé la comédie et il est vrai que le portrait-pastiche du cinéaste de « la Chinoise », alors en pleine crise révolutionnaire maoïste, ne manque pas de sel et que Louis Garrel l'incarne de façon savoureuse. Mais ce Jean-Luc Godard égocentrique et ratiocineur est un personnage plus agaçant que vraiment intéressant (sortie le 13 septembre).

Quant à François Ozon, il suscite cette fois, avec son « Amant double » (en salles depuis vendredi), une fascination mêlée d'irritation. Si l'histoire est inspirée d'un livre de Joyce Carol Oates, les effets soulignés et les retournements en pagaille relèvent surtout de références cinématographiques, Hitchcock, Brian De Palma, Polanski et Cronenberg mêlés, excusez du peu. Un psychiatre tombe amoureux de sa patiente et c'est réciproque, mais la jeune femme commence à le suspecter d'une double vie. Les scènes érotiques ne manquent pas, non plus que les miroirs brisés. Jérémie Renier, très convaincant dans son double rôle, et Marine Vacth font le travail.

Les images du mal

On attendait avec impatience « Happy End », de Michael Haneke, prétendant à une troisième palme d'or. Son portrait en négatif d'une famille très bourgeoise de Calais condense quelques-uns de ses thèmes favoris, égoïsme et indifférence de classe, sado-masochisme, tentation du mal, y compris chez les enfants, euthanasie… Mais tout cela est froid et abstrait et l'on reste à distance, malgré la présence d'Isabelle Huppert et de Jean-Louis Trintignant (sortie le 18 octobre).

Une autre approche du mal, dont va être victime également une famille bourgeoise, est celle du Grec Yorgos Lanthimos avec « Mise à mort du cerf sacré ». C'est une parabole dont il faut accepter la logique irréaliste. Elle met en scène un brillant chirurgien cardiaque, qui voit sa réussite et sa famille menacées par un adolescent, aux étranges pouvoirs, dont il avait opéré le père. Avec Colin Farrell et Nicole Kidman, un suspense sanglant qui laisse légèrement perplexe (sortie le 1er novembre).

On retrouve Farrell et Kidman (avec Kirsten Dunst et Elle Fanning) dans « les Proies », de Sofia Coppola, qui s'inspire du roman du même titre et du film de Don Siegel avec Clint Eastwood (1971), en réinterprétant l'histoire du point de vue des femmes. Soit, pendant la guerre de Sécession, dans le Sud, un soldat nordiste blessé recueilli dans un pensionnat où ne vivent plus que quelques jeunes filles. La cinéaste de « Virgin Suicides », « Marie-Antoinette » et « the Bling Ring » excelle à montrer les groupes féminins, avec leurs jolies robes pastel et leurs émois plus ou moins pudiques. À voir à partir du 23 août.

Avec l'excellent « Okja »*, le cinéma américain avait deux autres représentants. « The Meyerowitz Stories », de Noah Baumbach, que l'on ne devrait voir que sur Netflix, est une histoire de famille comme on en voit tant, mais dont on peut apprécier l'humour triste et les acteurs, Dustin Hoffman, Ben Stiller, Adam Sandler. « Happy Time », de Josh et Benny Safdie, n'a pas non plus une trame très originale, puisqu'il s'agit d'un braquage et d'une cavale à New York. Mais les deux frères trentenaires, dont l'un est aussi acteur, ne se refusent rien dans une mise en scène inventive et qui va à 100 à l'heure, tandis que Robert Pattinson fait une épatante composition de baratineur astucieux prêt à tout pour son frère légèrement handicapé (sortie le 11 octobre).

Après « Faute d'amour »*, une image encore plus désespérée de la Russie est signée de l'Ukrainien Sergei Loznitsa avec « Une femme douce ». En 2 h 20, la descente aux enfers d'une femme (Vasilina Makovtseva) qui cherche à voir son mari emprisonné ou, au moins, lui faire remettre un colis : elle ne rencontre qu'indifférence, méchanceté, corruption et propositions troubles. Pénible ou magnifique, peut-être les deux.

D'Asie, on a vu deux films ne manquant pas de qualités. Avec « le Jour d'après », le Coréen Hong Sang-soo livre en noir et blanc la petite chronique des amours d'un libraire, en épisodes joliment mêlés et avec une très charmante actrice, Kim Min-hee (sortie le 7 juin). Dans « Vers la lumière », la Japonaise Naomi Kawase raconte avec sensibilité la rencontre d'une jeune fille préposée à l'adaptation des films en audiodescription et d'un photographe en train de devenir aveugle - une jolie réflexion sur ce que montrent réellement les images (sortie le 20 septembre).

Et on n'oubliera pas « The Square », du Suédois Ruben Östlund, pour sa façon de se moquer d'un certain snobisme artistique et des bons sentiments qui s'arrêtent quand le confort de celui qui les exprime risque d'être compromis.

 

* Voir aussi « le Quotidien » du 22 mai

Renée Carton Sur www.lequotidiendumedecin.fr, le blog «En direct du Festival de Cannes », avec le palmarès

Source : Le Quotidien du médecin: 9584