Live chat du « Quotidien »

Pr Gabriel Perlemuter : « Le traitement le plus prometteur contre la NASH ? Arrêter la junk food ! »

Publié le 17/10/2019

Crédit photo : S. Toubon

Près d’un Français sur deux est en situation de surpoids ou d’obésité et a un risque d’avoir une stéatose métabolique. Seule une minorité d’entre eux développeront une NASH, « non-alcoholic steatohepatitis », état précurseur de la cirrhose et du cancer du foie. Comment prévenir ce risque ? Comment soigner cette maladie ?

Le Pr Gabriel Perlemuter, chef de service Hépato-gastro-entérologie à l’hôpital Antoine-Béclère (AP-HP), et auteur d’un ouvrage sur le sujet (Les pouvoirs cachés du foie, Éditions Flammarion), a répondu aux lecteurs du « Quotidien » pendant près d’une heure lors d’un Live chat. L’hépatologue est revenu sur la question du dépistage de la NASH et sur le suivi des patients à risque. Il a mis l’accent sur la prévention, rappelant l’importance des mesures diététiques et de la lutte contre… la junk food.

Live chat Pr Gabriel Perlemuter

Journaliste QDM (SL)
Bonjour à toutes et à tous.
Nous accueillons aujourd’hui le Pr Gabriel Perlemuter, chef de service Hépato-gastro-entérologie à l’hôpital Antoine-Béclère (AP-HP). La stéatose hépatique non alcoolique (aussi appelée stéato-hépatite métabolique ou NASH « non-alcoholic steatohepatitis ») est une pathologie de plus en plus fréquente, mais parfois méconnue dans les cabinets médicaux. Comment la dépister ? Comment la soigner ? Le Pr Perlemuter répondra à vos questions pendant près d’une heure.
 
Journaliste QDM (SL)
Live chat avec Pr Gabriel Perlemuter
 
Journaliste QDM (SL)
Bonjour Pr Gabriel Perlemuter. Nous sommes ravis de vous accueillir dans les locaux du « Quotidien ». Merci d’avoir accepté notre invitation.
Pr Gabriel Perlemuter
Bonjour. Je suis ravi d'être parmi vous aujourd'hui pour échanger sur la NASH.
DD
Pouvez-vous nous préciser la réalité épidémiologique de la NASH ? Merci pour votre réponse.
Pr Gabriel Perlemuter
C'est très compliqué car tout dépend de la définition. Si l'on prend la prévalence du surpoids et de l'obésité, 45% de la population en France est en surpoids ou obèse et donc susceptible d'avoir une stéatopathie métabolique. La prévalence de la stéatose est donc élevée et peut toucher 45% de la population. Heureusement, seule une minorité développera sur cette stéatose une inflammation, donc une NASH. On considère que cette minorité représente entre 8 à 20 %. Globalement, la NASH peut toucher 5 à 10% de la population.
Pat
Une NASH prouvée à l’IRM mais avec transa hép, glycémie, Hba1c, poids peu augmentés ainsi qu’un régime pauvre en sucres et en alcool. Comment comprendre ? Quel devenir ?
Pr Gabriel Perlemuter
Une NASH n'est pas prouvée à l'IRM mais à la biopsie. Le pronostic du patient dépend fortement mais pas seulement du niveau de fibrose qui n'est pas évaluée par une IRM. Il faut donc discuter en fonction des quatre facteurs l'intérêt de la biopsie du foie.
Journaliste QDM (SL)
Evolutivité de la NASH en Europe dans la population obèses ou diabétiques ?
Merci.
Pr Gabriel Perlemuter
La stéatose est un problème majeur en Europe. La cirrhose liée au surpoids en Europe n'est sans doute pas si importante que ça en l'absence de consommation d'alcool, même faible. En revanche on anticipe une augmentation de l'incidence du cancer du foie, même en l'absence de cirrhose.
Efbé
Bonjour Professeur. Est-ce qu'on peut vraiment « dépister » la NASH ? N'est-ce pas plutôt la fibrose avancée qu'il faut détecter dans cette population de stéatopathie métabolique ?
Pr Gabriel Perlemuter
On peut faire 2 réponses. Il est évident qu'il faut dépister la fibrose avancée, qui témoigne de la sévérité de l'atteinte hépatique et du risque de complications. Mais à ce stade, c'est très compliqué à traiter. Donc, il est également important de dépister les patients avant que ne survienne la fibrose. C'est là où l'on est le plus efficace et c'est tout le problème de la médecine préventive.
ph d officine 01
En tant que PH d'officine, quels sont les symptômes ou plaintes de patients qui nous évoqueraient cette pathologie et quels sont les conseils simples de prévention ou curatif à dispenser. Bien cordialement.
Pr Gabriel Perlemuter
Il s'agit d'une maladie silencieuse. Il n'y a donc pas de symptôme. Parfois, les patients se plaignent d'une pesanteur au niveau du foie. On peut repérer les patients susceptibles d'avoir une atteinte hépatique liée au surpoids quand on est pharmacien en cas de surpoids, de diabète, d'hypertension, de traitement hypolipémiant. Dans ce cas, le pharmacien doit conseiller la réalisation d'un bilan du foie. En termes de conseils : limiter les apports en sucres (féculents, pâtes, riz, pommes de terre, junk food... et pas seulement le malheureux morceau de sucre du café et du thé).
mozart 972
Bonjour. Comment gérer les difficultés en pratique de MG d’éliminer le rôle d’une consommation d’alcool excessive, merci Monsieur.
Pr Gabriel Perlemuter
Quand on est en surpoids, l'alcool est plus toxique : dès deux verres d'alcool, la personne en surpoids augmente considérablement son risque de fibrose ou de cirrhose (IMC supérieur à 25). On pourrait quasiment dire qu'en surpoids, toute dose d'alcool est excessive. Je conseille à mes patients en surpoids « LMP : le moins possible ». Inversement, chez un alcoolique, le surpoids aggrave la consommation d'alcool et la frontière entre une consommation d'alcool au cours d'une stéatopathie métabolique et un surpoids chez un patient alcoolique est très ténue.

La présence d'un rapport ASAT/ALAT supérieur à 1 est en faveur d'une toxicité de l'alcool plutôt que du surpoids, sauf en cas de fibrose avancée.
Valentiane
La NASH est-elle réversible avec des mesures hygiéno-diététiques seules ?
Pr Gabriel Perlemuter
Oui, clairement en l'absence de cirrhose ou du cancer du foie. Le problème, c'est qu'on n'y arrive quasi jamais. On le voit bien pour le diabète de type 2 où perdre 5 à 10% du poids permet de guérir du DT2 ; mais on n'y arrive pas sur le long terme.
Journaliste QDM (PT)
Quelle est la place des marqueurs biologiques non invasifs (fibrotest, fibromètre...) dans le dépistage de la NASH vs la PHB ?
Pr Gabriel Perlemuter
Elle est essentielle. Car il est évident qu'on ne peut pas imposer une biopsie du foie aux personnes qui ont un problème de surpoids. L'élastométrie impulsionnelle (fibroscan) permet d'avoir un suivi pour connaître l'évolutivité de la maladie et un dépistage simple de la NASH est à réaliser chez les personnes de plus de 50 ans qui ont une HTA, un diabète, une dyslipidémie ou un surpoids.

Les marqueurs biologiques peuvent également être utilisés mais, à mon avis, sont moins reproductibles. Mais cette réflexion n'engage que moi.
soja
Quel accompagnement nutritionnel de la NASH ? Pour quel résultat ?
Pr Gabriel Perlemuter
Je propose à mes patients un régime appauvri en hydrates de carbone, afin de limiter la sécrétion d'insuline. Le problème est de tenir ce régime sur le long terme. Et dire à un patient qui vient à la consultation : "perdez du poids", sans l'accompagner, ne sert à rien. C'est comme dire à un alcoolique : "arrêtez de boire". Perdre 5% du poids et maintenir cette perte de poids est efficace et permet de diminuer l'inflammation hépatique et d'arrêter l'évolutivité. L'accompagner, ce sont des consultation rapprochées, dédiées à une prise en charge nutritionnelle. Ce qui est très compliqué. Quand on y arrive, on arrête l'évolution de la maladie. Les idées très tendances de régime cétogène ou de jeûne intermittent méritent d'être évaluées pour leur effet bénéfique sur le foie. Les études chez les souris sont très encourageantes. A nouveau se posera le problème du suivi à long terme chez l'homme.
Machaut
Utilisez-vous quand même un score biologique et lequel dans votre service, au vu des différents « usages » dans différents pays ?
Pr Gabriel Perlemuter
Nous faisons le fibrotest car le service que je dirige a contribué à son développement. Mais il existe de nombreux autres tests qui, globalement, se valent.
Journaliste QDM (SL)
Live chat avec Pr Gabriel Perlemuter
 
Efbé
Que pensez-vous de l'initiative de certains labos de calculer le FIB-4 et de faire apparaître son résultat avec un commentaire incitant le MG à envoyer son patient en consultation hépato si besoin ?
Pr Gabriel Perlemuter
Pourquoi pas. Le médecin doit savoir que ces tests biologiques expriment la probabilité pour un patient d'avoir ou pas une maladie avancée. Mais ce n'est qu'une probabilité. Lorsque sur un fibrotest le score revient F4, cela veut dire que la probabilité que le patient soit F0 est de l'ordre de 10% seulement mais qu'il peut quand même être F0... Il faut donc interpréter un test non invasif comme tous les autres examens biologiques, en fonction du contexte clinique.
Dr Perchaud
Bonjour. Pouvez-vous m'indiquer précisément à quelle population de patients dois-je impérativement rechercher une NASH ? En effet, est-ce que certains facteurs de risque ont plus de poids que d'autres dans son développement et son risque évolutif ?
Pr Gabriel Perlemuter
Chez tous les patients qui ont un syndrome métabolique. Les facteurs de risque les plus importants sont le DT2, l'âge supérieur à 50 ans. Et ne pas oublier le facteur considérablement aggravant d'une consommation d'alcool, même lorsqu'elle semble modérée (par exemple, 2 verres par jour en cas de surpoids). Il faut également la rechercher chez les personnes qui ont eu d'autres maladies du foie, comme par exemple une hépatite C guérie. Car l'agression du foie avec plusieurs facteurs différents ne s'additionne pas mais se potentialise.
Nanocervo
A-t-on le recul suffisant pour s'alarmer de l'épidémie de NASH ? Et si ce n'était qu'un faux-nez masquant les appétits des industriels du médicament...
Pr Gabriel Perlemuter
Excellente question. Je pense qu'en Europe, la NASH grave au stade de cirrhose sans aucune consommation d'alcool est exceptionnelle. Bien sûr, on trouvera toujours des contre-arguments. Aux États-Unis, où l'alimentation est différente, il est possible que des NASH plus sévères soient plus fréquentes. L'enjeu financier pour l'industrie du médicament est évident. En revanche, le risque de cancer du foie en cas de surpoids, de diabète de type 2 est réel, même sans cirrhose.
soja
Le régime appauvri en hydrates de carbone, c'est un peu le régime cétogène, non ? S'il parait très intéressant, il ne fait pas (encore ?) l'objet de recommandations officielles à ma connaissance. Sur quelle base le proposez-vous ?
Pr Gabriel Perlemuter
Le régime appauvri en hydrates de carbone n'est pas un régime cétogène, je ne recommande pas d'augmenter les apports en graisse, ni de supprimer les fruits ni de contrôler la cétose. En revanche, la diminution de l'apport en hydrates de carbone diminuera la sécrétion d'insuline, l'insulinorésistance et il me semble évident, même s'il n'y a pas encore d'études, qu'on améliorera l'atteinte hépatique. Je vous rappelle que lorsque l'on veut générer un foie gras chez les volatiles, on donne des céréales riches en hydrates de carbone.
Dr Lemière
Je suis médecin généraliste et je m'inquiète de voir cette augmentation décrite de prévalence de la NASH. Pouvez-vous me préciser quel est le risque évolutif d'une stéatose simple vers la NASH ?
Pr Gabriel Perlemuter
Le risque est très faible en cas de stéatose simple. Je vous conseille de surveiller votre patient une fois par an et lui donner des conseils hygiéno-diététiques (bilan biologique hépatique et métabolique).
NS
Bonjour. Que pensez-vous de l'effet des SGLT2 et GLP-1 donnés à un diabétique, sur la NASH ?
Pr Gabriel Perlemuter
Les agonistes de GLP-1 ont montré dans au moins une étude randomisée leur efficacité. Il est logique, sur le plan mécanistique, que ce type de molécule soit efficace. Le problème est qu'ils n'ont pas d'AMM spécifiques pour la stéatopathie métabolique. J'en prescris préférentiellement à mes patients lorsqu'ils ont une NASH avec un diabète en plus de la metformine. La metformine doit à mon avis rester la molécule à proposer en première intention, même si elle n'a pas montré son efficacité sur la fibrose car elle pourrait limiter le risque de cancer du foie. À discuter évidemment au cas par cas.
Journaliste QDM (SL)
Live chat avec Pr Gabriel Perlemuter
 
Valentiane
En ville, quels examens faire pour suivre l'évolution d'une NASH diagnostiquée ? Est-ce que le bilan hépatique est un bon outil ?
Pr Gabriel Perlemuter
Le bilan hépatique est simple, et lorsqu'on assiste à une normalisation ou à une diminution des transaminases et de la gammaGT, le foie est sûrement heureux. En cas de fibrose avancée, il est intéressant de réaliser régulièrement, par exemple une fois par an, une élastométrie impulsionnelle.
isimoncini
Quel est le rôle de dysbiose dans l'évolution de la NASH ? Que pensez-vous du régime FODMAP ?
Pr Gabriel Perlemuter
Le rôle de la dysbiose est certainement important. En fermentant les sucres, le microbiote peut produire de l'éthanol qui arrivera au niveau du foie par la veine porte. Une dysbiose va également entraîner une modification de l'immunité intestinale, une augmentation de la perméabilité intestinale et une translocation d'endotoxines vers le foie. Le régime sans FODMAPs n'est pas spécifiquement intéressant pour la NASH. En revanche, en diminuant les apports en féculents (blé et tous les produits alimentaires qui en contiennent), en alcool, il entraîne souvent une perte de poids et par conséquent, il peut améliorer le foie.
Journaliste QDM (SL)
Ce Live chat est sur le point de se terminer. Dernière question.
 
-- GG
À votre avis, quel est le traitement le plus prometteur pour soigner la NASH ?
Pr Gabriel Perlemuter
L'arrêt de la junk food.
Journaliste QDM (SL)
C’est fini pour aujourd’hui. Merci Pr Perlemuter d’avoir échangé avec les lecteurs du « Quotidien ». À vous le mot de la fin ?
Pr Gabriel Perlemuter
Ravi d'avoir échangé avec vous. Prendre en charge une NASH nécessite un investissement à la fois du médecin et du patient. Il ne faut pas oublier de penser toujours qu'une consommation d'alcool qui semble modérée va considérablement aggraver les lésions hépatiques métaboliques.
Journaliste QDM (SL)
Merci à toutes et à tous pour votre participation. Rendez-vous dans dans les prochaines semaines pour un nouveau Live chat.

 


Source : lequotidiendumedecin.fr