VOICI VENU le point d’orgue du mouvement de contestation « La France sans médecins généralistes » orchestré par MG-France, Union Généraliste, Union collégiale et par le Syndicat national des jeunes médecins généralistes. Après s’être mis sur répondeur après 19 heures – c’était le 1er mars –, après avoir cessé de télétransmettre leurs FSE – c’était lundi dernier –, les généralistes sont appelés aujourd’hui, purement et simplement, à fermer leur cabinet.
Ce jeudi, pour ses promoteurs, doit être « sans généralistes ». Manière de montrer ce qu’il adviendra rapidement si rien n’est fait pour revaloriser le métier d’omnipraticien. Manière aussi évidemment, selon les termes de MG-France, de faire pression sur les pouvoirs publics « pour obtenir le respect » dû à la profession (droit de coter CS, instauration de forfaits pour l’organisation des soins de proximité, reconnaissance et valorisation des omnipraticiens, cite pêle-mêle le syndicat, UG rajoutant à cette liste un « carcan administratif de plus en plus intolérable »).
La sauce va-t-elle prendre ? Petit sondage dans trois régions.
• En PACA, un ras-le-bol latent et une mobilisation croissante
À Marseille, la journée doit être marquée à midi par une manifestation des généralistes de la région devant la Caisse Primaire d’assurance-maladie des Bouches-du-Rhône. Selon le Dr Serge Cini, président de MG-France PACA, il s’agit de mettre en garde le gouvernement contre « les difficultés croissantes d’accès aux soins pour les patients, la catastrophe démographique annoncée de la médecine générale en France et le non-respect du droit en matière de tarification ». Le Dr Cini annonce une mobilisation très forte en PACA sur les différentes actions engagées depuis dix jours, comme la grève des télétransmissions des feuilles de soins. « Nous recevons, assure-t-il, beaucoup de mails qui expriment une franche colère. Notamment par rapport au manquement du respect de la loi et de ses engagements par l’État. »
La question de l’augmentation du C à 23 euros n’intervient qu’au second plan. C’est ce que dit le Dr Jean-Philippe Arnaud, généraliste dans la périphérie niçoise. « Je ne fais pas grève pour l’argent mais parce que le ras-le-bol est général. Les retraités ne trouvent pas de gens pour les remplacer car les jeunes ne veulent plus s’installer ; ils ne veulent plus faire 55 heures par jour et je les comprends. On attend qu’il se passe quelque chose et qu’on nous respecte vraiment. J’ai trouvé très révélateur du mépris ambiant l’épisode de la grippe, ou la place qui nous est faite dans la loi HSPT [Hôpital, patients, santé et territoires] . » Dans ce même cabinet, un confrère plus âgé ne fera pas grève. « Ce n’est pas dans sa culture, il est difficile aussi de s’organiser autour de cet appel à la grève et de laisser ses patients comme cela. » Mais une jeune médecin, nouvellement associée, n’a pas hésité.
Dans un autre cabinet du quartier du Merlan, à Marseille, la réponse est claire. La grève ? « C’est non. Mais je n’ai même pas le temps de vous répondre, je suis débordé. » Dans les quartiers sud, le Dr Lucien Hagege ne sera pas aujourd’hui dans son cabinet : « Je réponds favorablement à cette idée de grève même si je ne suis pas syndiqué parce que tout va trop loin. »
• En Midi-Pyrénées, la reconnaissance comme enjeu du bras de fer
Installé à Toulouse, le Dr Patrick Jordan fait grève aujourd’hui, « et pas seulement à cause de la taxe en question en cas de non-télétransmission, cet aspect n’est que la goutte d’eau parmi les différentes raisons » qui le poussent à fermer son cabinet. « En réalité, explique-t-il, je considère que la politique de santé actuelle n’est plus adaptée à la demande de soins. Je souhaiterais que l’on nous laisse plus de champ libre dans nos prescriptions. Par exemple, on nous demande de faire des économies sur les examens complémentaires, or la médecine pour avancer nécessite ces examens complémentaires et on ne peut pas nous demander de passer à côté du diagnostic ! » Autre point d’insatisfaction pour le Dr Jordan : les génériques. « Je ne vois pas pourquoi on nous oblige à prescrire des génériques pour arriver à des quotas. En réalité, il vaudrait mieux mettre les produits phares au même prix que les génériques et nous laisser ensuite le choix. »
Le Dr Anne Saint-Martin exerce, elle, à Roques-sur-Garonne. « Je fais grève, dit-elle, car je trouve qu’il y a un manque flagrant de reconnaissance des médecins généralistes dans notre pays. Il y a un problème de démographie à venir or de moins en moins de jeunes médecins deviennent généralistes, et ce n’est pas un hasard. Nous avons vu pendant l’épisode de la grippe A que les médecins généralistes n’ont pas été tenus au courant des décisions du gouvernement ; sans doute, ont-ils été jugés incapables de gérer la crise ? Je trouve cela assez désagréable. Par ailleurs, le fait de nous facturer les feuilles de soins, c’est une honte, c’est méprisant. Enfin, la spécialité de médecine générale qui nous a été accordée n’est qu’un effet d’annonce puisque le gouvernement refuse maintenant de répercuter cette spécialité sur le tarif de la consultation. J’envisage cette grève comme un moyen de pression pour mettre en place un bras de fer, revendiquer et négocier. »
À Montauban, le Dr Jean-Jacques Galouye, travaille aujourd’hui « comme d’habitude ». Il explique : « Je fais partie des gens qui ont dénoncé les risques de la loi HPST dès le début, et à l’époque nous étions considérés comme le grain de sable dans la machine… Malheureusement, depuis, la loi est passée et il me semble que ce n’est pas une journée de grève qui fera bouger les choses. Le problème, c’est qu’en France les gens confondent tout : ils font l’amalgame entre la loi et la convention en cours. » Comment voit-il l’avenir ? « Je suis plutôt dans l’expectative des conclusions du médiateur Fragonard qui a été nommé par le gouvernement, répond-il. À mon sens, c’est uniquement par cette voie qu’un assouplissement de la loi pourra être décidé. Malgré tout, j’essaye de rester optimiste, il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain, nous verrons bien ce que les choses donneront. »
• Le Nord-Pas-de-Calais entre colère et désillusion
« La grève de ce 11 mars sera un coup de semonce. » Le propos du Dr Pierre Gheeraert sonne comme un avertissement. Ce généraliste installé dans un quartier populaire de Roubaix ferme son cabinet aujourd’hui, pour protester contre le manque de respect qu’affiche le gouvernement vis-à-vis des généralistes. « Parce que le CS, nous y avons droit ! Ce n’est pour les 23 euros… Nous ne sommes pas spécialement attachés au paiement à l’acte, mais nous estimons que maintenant, ça va bien ! On se moque de nous ! »
Le mouvement d’aujourd’hui est pour lui l’occasion d’exprimer sa colère, devant le manque de reconnaissance, les pressions de l’assurance-maladie et les conditions de travail qui se dégradent d’année en année. « Nous faisons des efforts sur les antibiotiques, les prescriptions de génériques, le suivi des malades chroniques, et nous n’avons aucune contrepartie. Nos honoraires sont bloqués, et on ne nous reconnaît pas notre qualité de médecin spécialiste. » Amer, ce praticien se sent déconsidéré, et constate qu’autour de lui, les confrères qui partent en retraite ne parviennent pas à céder leur clientèle. « L’an dernier, deux confrères ont cessé leur activité du jour au lendemain dans le quartier de l’Alma sans trouver de successeur, y compris au sein de leur propre famille. »
Même découragement chez Pierre Nevians, généraliste à Saint-Martin-les-Boulogne. Le harcèlement administratif, les feuilles de maladies retournées à l’envoyeur pour cause de croix mal placée dans le carré… Toutes ces tracasseries ont eu raison de son enthousiasme. Aujourd’hui, ce praticien travaille à mi-temps comme salarié dans le secteur du handicap. « Et si on me proposait plus d’heures, j’accepterais tout de suite, confie-t-il. Je gagne plus en trois heures de vacations qu’en sept heures de libéral… À la longue, ces conditions de travail sont usantes ! Elles se sont considérablement dégradées depuis 2005. Il règne dans les organismes sociaux un esprit délétère qui provoque une lassitude profonde. » Et de dénoncer les dysfonctionnements dans le parcours de soins, les formulaires égarés et autres contrariétés. « Un médecin s’est suicidé l’an dernier. Un autre a failli craquer après un entretien avec la caisse primaire. Sur le littoral boulonnais, le ras-le-bol est énorme. Soixante-dix médecins vont fermer leur cabinet, sur 125 », avertit Pierre Nevians.
Le Dr Pierre Grave, installé à Saint-Pol va faire grève pour la première fois de sa carrière. « En vingt ans, je n’ai jamais fermé mon cabinet ; mais là je suis trop dépité. Nous sommes le seul pays européen où les soins de premier recours sont aussi peu reconnus. La prévention n’est toujours pas rentrée dans la culture française. Les lobbies pharmaceutiques n’ont pas intérêt à ce qu’elle se développe. Moyennant quoi notre système de santé est peut-être parmi les meilleurs mais avec un rapport qualité prix très élevé. Nous vivons dans un régime qui se dit libéral mais qui n’a jamais autant encadré le système de soins. Il n’est que de voir la façon dont a été gérée l’épidémie de grippe A. Nous avons été totalement exclus de la prévention. » Le Dr Grave avertit : « La grève d’aujourd’hui est un premier mouvement de protestation. Mais cela ne fait que commencer ! »
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