RECUEILLIS par l’ONVH depuis 2005, à la suite de la dramatique affaire du CHS de Pau (deux infirmières tuées par un dément le 18 décembre 2004), présentés devant un nombreux public de soignants lors d’un colloque organisé par la MACSF, les chiffres de signalement des violences au sein des établissements de soins progressent régulièrement. Tous les types d’établissements y sont exposés : CH (122 en 2008 pour 1 366 faits), CHS (36 pour 1 355), CHU (33 pour 481) PSPH (14 pour 47). Bien que non concerné administrativement, même le secteur privé fait remonter ses données, avec 18 MCO (médecine chirurgie, obstétrique) qui ont déclaré 18 actes et 13 cliniques pour 31 violences. Et « toutes les régions, toutes les temporalités sont touchées, souligne « la seule flique détachée près le ministère de la Santé », ainsi qu’elle se présente elle-même, la commissaire divisionnaire Fabienne Guerrieri (responsable de l’ONVH à la DHOS). L’homogénéité des faits tout au long de l’année ne fait pas ressortir une période plus ou moins propice aux agressions, comme on le voit dans les statistiques de la criminalité générale. De 2 690 en 2006, les signalements sont passés à 3 253 en 2007, soit une progression de 21 %, puis à 3 433 en 2008, en hausse de 5,6 %. Même si ces statistiques doivent être analysées avec prudence, compte tenu de la nouveauté de la collecte et d’une sous-déclaration probablement encore importante, « ces données, souligne Mme Guerrieri, permettent d’affirmer que cette violence en établissements de soins n’est plus un épiphénomène, elle impacte de plus en plus les conditions de travail. »
Les personnes plus exposées que les biens.
Le préjudice humain est d’autant plus fort que ce sont les personnes, loin devant les biens, qui sont exposées, avec 89,31 % des violences en 2008 contre 10,69 % qui ont visé des biens (respectivement 83,52 % et 16,48 % en 2007, 86,69 % et 13,31 % en 2006. Pour ces atteintes aux personnes, les coups volontaires (coups et blessures sans armes) sont majoritaires, les menaces et injures représentant respectivement en moyenne un fait sur cinq.
Les services sont évidemment inégaux devant la violence. Avec 1 731 atteintes recensées en 2008 (1 444 en 2007 et 1298), c’est la psychiatrie qui détient la palme. Les coups et blessures y sont les plus fréquents, avec un taux de 70 % (18 % pour les menaces et 9 % pour les injures). Suivent les urgences (438 cas en 2008, 463 en 2007 et 383 en 2006), avec, dans près de 50 % des cas, des coups et blessures, des menaces pour 23 % et des injures pour 29 %). Viennent ensuite les services de médecine (208 en 2008, 215 en 2007 et 176 en 2006), la chirurgie (35, 46 et 25), la gynécologie, obstétrique, maternité (32, 33, 18).
Quatre-vingts pour cent des victimes appartiennent au personnel de l’établissement, 10 % sont patients et 1 % des agents des services de sécurité de l’établissement. Ces données évoluent peu, mais « le personnel-auteur », en trois ans de recueil, est passé de 1,4 % à 7 %, les patients diminuant symétriquement, de 80,52 % à 74,88 %, alors que la catégorie des visiteurs-accompagnants représente toujours 20 %.
Cette progression des personnels-auteurs s’explique par « la dégradation des conditions de travail, liées à la montée des tensions et des conflits, analyse la commissaire Guerrieri. C’est un phénomène préoccupant de ras-le-bol dans les équipes soignantes ».
Des équipes qui n’accusent pourtant pas le coup, que ce soit en nombre d’arrêts de travail (moins de 10 %), d’ITT (moins de 5 %), ou de dépôts de plainte : 83 % des actes violents déclarés n’entraînent aucune procédure judiciaire, le taux général de plaintes atteignant 13 %, tous types de d’atteintes confondus. « Nous sommes confrontés à un paradoxe, remarque Mme Guerrieri : une plainte est plus souvent déposée pour une atteinte aux biens (51 %) que pour une atteinte aux personnes (8,7 %). Plus les faits sont graves, moins nombreuses sont les procédures engagées. » La complexité des démarches, les délais d’attente aux commissariats et gendarmerie, la non-réponse de l’institution judiciaire, qui ne tient pas informé le plaignant des suites données, sont sans doute en cause. Mais il faut aussi regretter l’absence d’accompagnement des victimes. Une situation que l’AP-HP s’efforcerait de combattre, selon le général Gérard Browne, conseiller pour la sécurité auprès du directeur général.
PLUS LES FAITS SONT GRAVES, MOINS NOMBREUSES SONT LES PROCEDURES
L’AP-HP confirme, de son côté, la progression des violences dans ses établissements. Les atteintes aux biens y sont près de quatre fois plus nombreuses que les atteintes aux personnes, 2 534 en 2009 contre 678. Les agressions verbales ont progressé de 374 en 2008 à 523 en 2009, tandis que les coups et blessures avec ITT de moins de huit jours sont en baisse (135 contre 152), les coups et blessures avec ITT de plus de huit jours progressant de 4 à 7.
Création d’un service de sécurité générale antimalveillance, mise en place dans chaque établissement d’un schéma directeur, avec un responsable sécurité, un adjoint et des agents selon les effectifs, partenariat hôpital-police, une démarche sécurité s’est mise en place avenue Victoria depuis trois ans. La formation et l’information du personnel pour réagir aux situations d’agression font l’objet de modules de FMC pour les médecins et les infirmières, des stages de gestion antistress enseignent les moyens pratiques de désamorcer les situations risquées.
Trente ans de retard.
« Il faut analyser les facteurs déclenchants, propose le directeur du Sou Médical, Nicolas Gombault, qui en énumère quelques-uns : les temps d’attente, les refus de prescription ou d’arrêt de travail, les personnes en état d’imprégnation alcoolique. » Selon lui, l’hôpital a trente ans de retard en termes de politique de gestion des violences par rapport au secteur aéronautique. Sans doute, suggère-t-il, pourrait-il s’inspirer de ses méthodes pour exercer les personnels aux techniques de désamorçage, avec un entraînement à la gestuelle et des jeux de rôle.
Si la suggestion a été diversement accueillie parmi les participants de la conférence-débat, intervenants et publics ont été unanimes à constater la radicalisation du phénomène. La blouse blanche a cessé de protéger. Les personnes passent à l’acte violent aussi vite dans un hôpital que dans la rue.
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