PAR LE Dr MARC WYBIER*
PLUSIEURS CAS de complications graves de l’injection radioguidée d’une suspension cortisonique au rachis ont été publiés depuis 1998 : décès ou tétraplégie à l’étage cervical, 12 cas de paraplégie à l’étage lombaire, dont 6 survenus en région parisienne (1).
L’accident est presque immédiat. Il correspond à une ischémie médullaire dans le territoire de l’artère spinale antérieure, révélée par l’IRM, 6 à 24 heures après le geste. L’âge moyen (54 ans) et l’absence d’artériopathie (sauf un cas) ne prédisposant pas les patients à l’exceptionnelle ischémie médullaire spontanée, l’ischémie est imputée à un dommage artériel lié au geste. Comme tous les accidents font suite à une infiltration foraminale, sauf deux cas de paraplégie liés à une infiltration lombaire interlamaire et juxta-articulaire postérieure sur rachis opéré, le rôle des artères foraminales, qui jouxtent et irriguent la racine nerveuse est envisagé en priorité. La piqûre accidentelle de l’artère par l’aiguille est d’autant plus à craindre que toutes deux ont une orientation parallèle dans l’espace étroit du foramen. De plus, des travaux récents (2, 3) ont montré, à rebours des données classiques, que l’artère de n’importe quel foramen cervical et lombaire et du premier trou sacré peut être, de façon aléatoire, à destinée non seulement radiculaire mais aussi médullaire. L’hypothèse privilégiée, secondairement étayée par une étude animale récente (4), est qu’une particule cortisonique injectée dans l’artère foraminale peut emboliser une artériole terminale du cône médullaire si, par malheur, l’artère piquée a aussi une destinée médullaire. Sous cet angle, il devient intéressant de comparer le pouvoir emboligène des diverses particules cortisoniques. Ces particules peuvent former des agrégats. Les particules d’acétate de prednisolone (Hydrocortancyl, sanofi-aventis) auraient la plus grande tendance à la coalescence et formeraient les agrégats les plus volumineux, par comparaison aux autres suspensions cortisoniques (5), notamment le cortivazol (AltimR, sanofi-aventis) qui est, avec Hydrocortancyl, le seul médicament autorisé en France pour les infiltrations du rachis. Le fait que la moitié des cas de paraplégie publiés soient français pourrait résulter d’un usage quasi exclusif en France d’Hydrocortancyl au rachis.
Un antécédent opératoire lombaire semble augmenter le risque de paraplégie. En effet, la proportion de patients opérés parmi les cas de paraplégie est entre 2 et 8 fois plus élevée que dans la population proposée à une infiltration lombaire en milieu spécialisé. Or la cicatrice épidurale est riche en néovaisseaux, probablement issus des vaisseaux voisins existants. Nous postulons que, à l’instar de tumeurs bénignes intrarachidiennes, la cicatrice épidurale peut enfermer des vaisseaux connectés à une artère foraminale : si, par hasard, cette artère foraminale est aussi à destinée médullaire, on voit que piquer dans la cicatrice expose à violer le système artériel spinal antérieur, et ce quelle que soit la façon d’aborder la cicatrice. Cette hypothèse est une explication possible pour la paraplégie survenue par des voies non foraminales chez deux patients opérés.
L’évaluation directe de la fréquence des accidents est impossible : il n’existe pas de moyen de chiffrer avec certitude le nombre d‘accidents ni celui des injections radioguidées du rachis réalisées dans le même temps. À titre d’estimation grossière, nous avons compté que le rapport du nombre de paraplégies au nombre d’infiltrations lombaires réalisées depuis 2000 dans trois centres expérimentés était, respectivement, de 0/4 300, 2/1 330 et 1/7 900. Vingt-deux ans séparent la première publication sur une infiltration radioguidée du rachis lombaire et le premier cas signalé de paraplégie en 2002. L’éclosion récente des cas de paraplégie pourrait coïncider avec la diffusion de l’infiltration foraminale, qui demande moins de technicité que les autres abords radioguidés du rachis. Ni l’injection préalable de produit de contraste vérifiant l’absence d’opacification vasculaire ni le guidage par scanner n’ont été une garantie contre l’accident.
Quelles recommandations peut-on faire ?
Le symptôme à traiter est une douleur bénigne, à terme presque toujours spontanément résolutive. En face, existe un risque, certainement très faible mais non chiffrable, d’accidents graves. On n’a de leur mécanisme que des données parcellaires, qui ne permettent aucune directive réglementaire. À défaut, l’AFSSAPS a rappelé que les indications des infiltrations du rachis devaient être mûrement pesées. Or la facilité technique de l’infiltration foraminale a permis à un certain nombre d’opérateurs d’inaugurer une activité de radiologie interventionnelle du rachis, sans égard pour la longue formation clinique qui va de pair avec l’apprentissage d’une technique spécialisée. À notre connaissance, certaines compagnies d’assurance professionnelle verraient d’ailleurs d’un bon il que la garantie des gestes radioguidés ait pour contrepartie, outre sa formation radio-clinique initiale, l’implication assidue de l’opérateur dans des confrontations cliniques pluridisciplinaires d’un niveau reconnu. Jusqu’à plus ample informé, nous nous sommes fixé les trois règles suivantes, à l’instar du pôle locomoteur de l’hôpital Lariboisière :
– la voie foraminale est suspendue ;
– chez les patients non opérés, le rachis cervical est infiltré par la voie articulaire postérieure (techniquement délicate, mais sûre) et le rachis lombaire par les voies interlamaires ou interépineuses, qui, pas plus que la voie articulaire postérieure, n’ont à ce jour été associées à une paraplégie ;
– le rachis lombaire opéré n’est infiltré qu’à distance de la cicatrice opératoire, à ce titre la voie du hiatus sacro-coccygien est la plus sûre. De plus, le cortivazol n’ayant jamais été associé à une ischémie, nous en faisons personnellement un usage désormais exclusif au rachis.
Enfin, la réglementation actuelle oblige tout opérateur à informer son patient du risque (même infime) de décès, tétraplégie ou paraplégie pour la voie foraminale et, sur rachis opéré, pour toute autre voie que celle du hiatus sacro-coccygien.
Au prix de ces précautions, nous n’avons en rien réduit notre activité d’infiltrations radioguidées du rachis, tant dans notre activité hospitalière que libérale.
*Service de radiologie ostéoarticulaire, hôpital Lariboisière, Paris et cabinet d’imagerie de l’appareil moteur, Paris.
(1) Wybier M et coll. Eur Radiol 2010; 20:181-9.
(2) Huntoon MA. Pain 2005;117:104-11.
(3) Biglioli P et coll. J Thorac Cardiovasc Surg 2004;127:1188-92.
(4) Okubadejo GO et coll. J Bone Joint Surg (Am) 2008;90:1932-8.
(5) Roques CF et coll. Rhumatologie 1987;39:187-94.
Jusqu’à quatre fois plus d’antibiotiques prescrits quand le patient est demandeur
Face au casse-tête des déplacements, les médecins franciliens s’adaptent
« Des endroits où on n’intervient plus » : l’alerte de SOS Médecins à la veille de la mobilisation contre les violences
Renoncement aux soins : une femme sur deux sacrifie son suivi gynécologique