4,4 % de l'empreinte carbone mondiale est émise par le secteur sanitaire. « Si la santé était un pays, ça serait le cinquième plus gros émetteur ! », a illustré Mathilde Renker, présidente de l’Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (Isnar-IMG), au congrès du Collège national des généralistes enseignants (CNGE) début décembre.
Particules fines et décès prématurés
Devant une salle pleine à craquer – 3 000 généralistes et étudiants réunis à Lille – l’interne a délivré un plaidoyer pour agir sur la santé de la planète. « Il est temps que cela devienne une préoccupation quotidienne pour les médecins et dans la formation des internes », avance la future généraliste, façon de dire que ce sujet reste secondaire dans les pratiques médicales.
De fait, la santé environnementale demeure le parent pauvre des politiques de prévention. Pourtant, chaque année en France, les particules fines entraînent les décès prématurés de 40 000 Français – autant que l’alcool – et 7 000 pour le dioxyde d’azote. « Il serait faudrait considérer la pollution avec le même sérieux que l’alcool », s’agace la présidente de l’Isnar-IMG, convaincue du rôle du médecin généraliste traitant.
Le Pr Rémy Slama, directeur de l’Institut thématique santé publique à l’Inserm, estime lui aussi que sur le plan sanitaire, « l’intervention clinique du médecin traitant est plus efficace en amont, sur la prévention, avant que la pathologie ne soit là ». L’épidémiologiste environnemental juge à cet égard « intéressant » le recours aux conseillers médicaux en environnement intérieur (CMEI). Sur prescription du médecin traitant ou certificat, ces conseillers régionaux peuvent visiter le logement d’un patient, en cas par exemple de suspicion de corrélation entre une pathologie respiratoire et un polluant intérieur.
Voiture électrique et isolement thermique
En 2019 déjà, l’organisation mondiale de la médecine générale (WONCA) avait invité les médecins de famille à s’emparer du sujet, initiative encouragée par les généralistes enseignants du CNGE. La WONCA, qui représente 500 000 généralistes du monde entier, mettait en avant les risques du changement climatique pour la santé, dont l’augmentation des maladies non transmissibles, la détérioration de notre alimentation liée par exemple aux sécheresses ou l’exposition aux maladies transmissibles émergentes. « Nous demandons aux généralistes d'agir en sensibilisant leurs communautés respectives à la santé planétaire et aux possibilités de solutions ainsi qu'en luttant directement contre l'accélération des changements environnementaux par le biais des pratiques de soins de santé durables », plaide le consortium, qui conseille aux médecins d’approfondir leurs connaissances et de mieux informer leurs patients sur les risques.
Pour limiter les émissions carbonées au cabinet, des gestes simples ont été présentés au congrès du CNGE, s’appuyant sur le site « Santé durable ». Issu d’une thèse de médecine générale, ce portail propose un cahier des charges du développement durable en cabinet libéral (locaux, informatique, achats, déchets, hygiène). « Ce sont des solutions simples et efficaces pour réduire l’impact écologique de notre pratique, comme limiter sa consommation d’énergie en isolant mieux les bâtiments », illustre Mathilde Renker. Autres conseils plus ou moins faciles à mettre en place : regrouper ses déplacements, acheter une voiture électrique partagée au sein d’une maison de santé ou effectuer des visites à vélo…
Lutte contre l'antibiorésistance
Si l’écologie s’invite dans l’organisation libérale – la CSMF avait consacré son université de rentrée au cabinet vert – elle peut aussi s’imposer sur l’ordonnance. « Il faut oser la dé-prescription, en proposant des interventions non médicamenteuses », suggère Mathilde Renker.
La santé environnementale étant étroitement liée à celle des écosystèmes, la lutte contre l’antibiorésistance est un maillon fort entre les mains des généralistes. Alors que la France se situe au 4e rang des pays européens les plus consommateurs d’antibiotiques, « cette pression de sélection augmente l’apparition de souches bactériennes résistantes », insiste la Dr Stéphanie Larramendy, généraliste à Nantes. 77 % des antibiotiques sont prescrits en soins premiers, confirme l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). « Et si les prescriptions décroissent à l’hôpital, c’est plus timide en ville », précise la Dr Larramendy, qui a mené une étude en Bretagne sur la répartition des Escherichia coli productrices de bêta-lactamases à spectre élargi (BLSE) – souches résistantes aux molécules de première intention. Sur les 350 000 échantillons urinaires étudiés, 3,3 % présentaient des entérobactéries BSLE. Les plus de 65 ans et les consommateurs de céphalosporines de 3e génération étaient les plus susceptibles de porter ces bactéries résistantes. « Les généralistes sont plus à même de prescrire des antibiotiques chez les personnes âgées, qu’ils considèrent comme fragiles, détaille la Dr Larramendy. Mais nos prescriptions de céphalosporines en soins primaires ont un impact sur les écosystèmes. » En réduisant les prescriptions d’antibiotiques – « dont 20 à 35 % sont inutiles » – le généraliste peut agir à son niveau pour la santé planétaire.
Le défi semble réalisable. En 2020, avec la crise sanitaire, la consommation d’antibiotiques a chuté de 18 %. Et le taux d’E. Coli BLSE a été réduit significativement. « C’est du jamais vu ! Aucune campagne nationale n'a été aussi efficace », avance la Dr Larramendy, convaincue que « si on change nos pratiques en tant que généraliste, cela peut avoir un impact rapide ».
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