L'époque où chaque village disposait de son généraliste est révolue, a affirmé très récemment l'association des maires des petites villes de France (APVF). Mais ce message n'est pas passé partout… Dans le Morbihan, des élus et praticiens de terrain s'alarment de la façon dont est tricotée l'offre de soins locale, aboutissant à des situations ubuesques.
Joël Marivain fait partie de ces édiles inquiets. Maire de Kerfourn (communauté de communes de Pontivy, baptisée Pontivy communauté), il explique que les maires ont dû s'emparer « un peu malgré eux » de la question de la présence médicale, mais regrette ouvertement le manque de coordination locale des implantations de maisons de santé pluridisciplinaires (MSP) pour combattre la désertification.
Coquilles vides
Il y a un peu plus de cinq ans, Pontivy communauté (26 communes, 50 000 habitants) a mis en place un fonds d'aide pour faciliter les installations de MSP, après avoir signé un contrat local de santé (CLS) avec l'ARS. Mais la coordination fait défaut. À Pleugriffet par exemple, une MSP s'est ouverte avec le seul généraliste qui exerçait déjà dans la commune, contrairement au cahier des charges de l'ARS, qui a malgré tout validé le projet. « Il n’y a pas eu de concertation, cette implantation montre que les maires restent dans une logique de clocher », regrette Joël Marivain. À Mûr-de-Bretagne (toujours Pontivy communauté), c'est pire encore. La mairie a mis en place une MSP avec trois médecins, mais « aujourd’hui, ils sont tous partis, constate le même élu. Le maire est en train d'essayer d’en faire venir un ou deux des alentours ».
L'analyse est partagée. Maire de Noyal-Pontivy, Marc Kerrien dénonce une situation dans laquelle « chaque maire tire la couverture à lui » en réclamant une structure sur sa commune, parfois en dépit du bon sens. Certaines MSP implantées dans la région ressemble à des coquilles vides. « On les a construites, mais il n’y a personne dedans, et il n’y a pas eu de concertation préalable », regrette-t-il. Les édiles se font volontiers concurrence. Dans la commune du Sourn, Marc Kerrien qualifie la situation d'« abracadabrantesque ». La mairie salarie les médecins depuis fin 2015. Trois ont été embauchés mais un est déjà parti. « Avec cette situation, analyse Marc Kerrien, les médecins se vendent au plus offrant ».
Une société qui « ne vaut plus une cacahuète »
Du côté des praticiens libéraux, le ton n'est pas plus tendre. Créateur du pôle de santé de Ty Lann à Bréhan (Pontivy communauté), monté sans subvention, le Dr Nicolas Thual qualifie de « grand mercato » les mouvements de médecins dans les MSP qui fleurissent en ordre dispersé. Très remonté contre ces politiques municipales brouillonnes, il affirme que « s’il y avait des médecins dans tous ces bâtiments, la région serait largement surdotée ». Les conséquences de cette situation anarchique sur son pôle de santé ne sont pas minces. « Je me retrouve avec une société immobilière qui ne vaut plus une cacahuète, au regard de la profusion de maisons de santé municipales aux alentours », confie le Dr Thual au « Quotidien ».
Dans ces MSP pilotées par les maires, aucune condition n'est explicitement exigée, déplore le généraliste : ni continuité des soins, ni participation à la PDS, ni durée minimale d’engagement, ni accueil d’étudiants. « Or, soit ces conditions figurent dans le projet de santé des MSP, soit elles sont exigées par les ARS pour obtenir des subventions ». Le Dr Thual envisage de porter plainte contre certains maires « pour non-respect de leurs obligations ».
Pression des ARS
À Pontivy, on fait son mea culpa. Marc Ropers, maire de Cléguérec et vice-président de Pontivy communauté, reconnaît que la situation de désorganisation décrite est « globalement exacte », même s'il assure que certains projets municipaux restent « cohérents ». Lorsque le contrat local de santé a été signé, explique-t-il, les ARS ont mis la pression sur les collectivités pour arriver aux 200 maisons de santé promises par le gouvernement Fillon d'alors. Aujourd'hui, promet-il, la régulation des créations de MSP à Pontivy communauté « est dans l'air du temps »…
Pontivy n'est malheureusement pas un cas unique. Le Dr Pierre de Haas, patron de la Fédération française des maisons et pôles de santé (FFMPS), estime que beaucoup de collectivités locales improvisent « et vont plus vite que la motivation des professionnels ». Malgré les avertissements, nombre de maires ne prévoient toujours pas de projet de santé et ne se concertent pas non plus avec les communes proches « mais croient que ça va marcher ». Président (FMF) de l'URPS de Bretagne, le Dr Nikan Mohtadi, juge que cette situation relève « du grand n'importe quoi », même si l'attitude des maires « part d'un bon sentiment ». Il invite les élus à le rencontrer : « Venez nous voir, et travaillons ensemble sur le diagnostic ».
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