EN TANT que spécialiste du management des risques à l’hôpital, directeur médical d’Orkyn’, le Dr Ellenberg reconnaît que le documentaire aborde de vraies bonnes questions quand, par exemple, il suit le Dr Quenon dans ses investigations. Mais il est resté « frustré par l’exploitation très forte du pathos » qui occulte, à ses yeux, de réelles investigations sur la désorganisation hospitalière. « Si, explique-t-il, l e facteur humain est à l’origine de l’erreur humaine, l’accident hospitalier survient dans un contexte toujours collectif et jamais individuel. Il relève du concept dit du fromage suisse, élaboré par le Pr James Reason, dans l’erreur humaine : pour réduire un danger potentiel, plusieurs couches barrières sont juxtaposées ; l’accident ne peut survenir que selon la combinaison des trous et défaillances présentées sur chacune des barrières. Autrement dit, en matière de sécurité hospitalière, l’accident est forcément systémique. Dès lors, la mise au pilori d’une personne ne saurait répondre au problème posé et permettre d’identifier, d’évaluer, d’éviter ou de réduire les risques. »
Le documentaire pêche donc par son absence de réflexion de fond sur l’organisation hospitalière, parlant surtout le langage de la souffrance des patients : « Il décrit un mauvais tableau, avec un mixage de deux séries médicales : "Dr House" et le froid calcul clinique et "Grey’s Anatomy" avec sa recherche de l’erreur individuelle. »
Le réalisateur omet encore une problématique capitale, estime le Dr Ellenberg, liée au « gouffre qui sépare deux langages : le langage clinique, par nature technique et froid, qui recouvre une rationalité scientifique et technologique, parlé par les médecins ; et le langage des patients, emprunt de rationalité sociale. On en est alors réduit à l’affrontement entre ces deux explications du monde qui ne communiquent pas entre elles. Une situation forcément conflictuelle. »
« Personnellement, en tant qu’hospitalier, témoigne l’expert, j’ai connu ces oppositions entre deux logiques, alors qu’on s’efforçait de réduire les risques d’accident avec la généralisation des bracelets portés par les personnes hospitalisées. Les soignants invoquaient un progrès en termes de sécurité, tandis que des patients redoutaient des phénomènes d’infantilisation et même faisaient référence aux identifications des camps de concentration. En fait, on se heurtait à un facteur de communication qui impose l’instauration d’un nouveau type de langage à l’hôpital ; un langage qui devrait reposer sur un nouveau mode relationnel, fondé non sur l’emprise mais sur l’écoute mutuelle.Dans ma thèse, j’ai développé à ce sujet l’idée de communication de la caresse : un langage hospitalier complémentaire à celui de la clinique, qui prend en compte les principes d’interrogation, de communication, de questionnement sur ce que ressent l’autre. Paraphrasant Descartes, je proposerais à l’hospitalier une devise : "Je doute donc je soigne". » Une médecine, en somme, sans majesté et sans peur.
* Éditions Armand Colin (« le Quotidien » du 17 octobre 2005).
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