Crise, contrainte à l'installation, système de santé à bout de souffle

En Tunisie et en Algérie, les jeunes médecins trop souvent contraints à l'exil

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Publié le 12/06/2017
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L'Algérie et la Tunisie sont confrontées depuis quelques années à l'exode massif de leurs blouses blanches.

En Algérie, selon le Dr Mohamed Bekkat-Berkani, président de l'Ordre des médecins, environ 50 % des 800 docteurs formés chaque année choisissent d'aller exercer en France. « Une sorte de désespérance les pousse à s'exiler », regrette-t-il. 7 000 praticiens algériens exercent en France, mais ils sont également nombreux à s'installer dans d'autres pays francophones comme le Canada, ainsi que dans les Émirats.

Les raisons sont multiples. L'absence de numerus clausus crée une surpopulation médicale libérale, estime le Dr Bekkat-Berkani (il y aurait un généraliste pour 700 habitants en Algérie contre un omnipraticien pour 757 habitants en France). La situation n'est guère plus brillante dans les établissements de santé : « Faire un plan de carrière à l'hôpital n'est pas évident, le manque de moyens est criant », regrette-t-il. Le Pr Abdelaziz Ayadi, président de l'Ordre régional d'Annaba, ajoute une autre raison. Le gouvernement algérien a mis en place un service civil, sorte de contrainte à l'installation qui oblige les nouveaux diplômés à aller exercer pendant trois ans dans le sud désertique du pays. Les jeunes praticiens fuient cette obligation. L'Ordre algérien a suggéré sans succès au gouvernement de proposer des aides aux candidats à l'installation dans le sud du pays, plutôt que de les y contraindre.

La formation de ces praticiens qui ne restent pas coûte cher à l'État, mais sans aller jusqu'à infléchir les politiques. « Les pouvoirs publics font avec, analyse le Pr Ayadi. Après l'indépendance et le départ des Français, l'Algérie s'est retrouvée avec à peine 300 médecins. Aujourd'hui, nous en avons près de 50 000. Alors, parler de pénurie... »

Les Tunisiens tentés par l'eldorado allemand

En Tunisie, la situation n'est guère différente. En 2013, 926 nouveaux médecins se sont inscrits au tableau de l'Ordre. Mais la même année, l'institution a dû rédiger 58 certificats de bonne conduite, sésame indispensable aux professionnels souhaitant partir à l'étranger. Et en 2016, 930 nouveaux docteurs se sont inscrits au tableau, tandis que 300 obtenaient un certificat.

Où vont ces praticiens ? Très majoritairement en Allemagne, qui souffre d’une pénurie de spécialistes. « L'Allemagne déroule le tapis rouge à nos médecins, confirme le Dr Nazih Zghal, secrétaire général adjoint du CNOM tunisien. Elle enseigne l'allemand aux généralistes candidats, les invite à venir s'installer en Allemagne et prend en charge sur place leur formation de spécialiste. »

Pour expliquer cet exode massif, le Dr Zghal évoque la situation d’insécurité qui prévaut en Tunisie depuis la révolution de 2011 et « l’attrait pour l’eldorado », réel ou fantasmé. « S’installer dans le privé en Tunisie est hasardeux, analyse-t-il, et les hôpitaux disposent de budgets très faibles. » À l'entendre, les pouvoirs publics tunisiens n’ont pas vraiment pris la mesure du problème. « Quelque part, ajoute-t-il, on dirait même que ça les arrange, ça fait autant de demandeurs d’emploi en moins. »

Cet exode ne semble pas pour l'instant poser trop de problèmes d’accès aux soins. Un rendez-vous chez un médecin libéral s’obtiendrait en un ou deux jours. Mais selon le Dr Zghal, les délais s’allongent à l’hôpital. Contacté par « le Quotidien », le Dr Mohamed Ayed, président du Syndicat tunisien des médecins libéraux confirme que le problème en Tunisie « n'est pas le manque de médecins, mais d'infrastructures et de plateaux techniques ».

Est-il légitime que des pays riches aillent chercher ailleurs, sans bourse délier, les ressources médicales qui leur font défaut ? Le Dr Patrick Bouet, président de l'Ordre français, reconnaît avoir « une forte interrogation » sur le sujet. « Ces nations qui font un effort de formation voient partir ainsi leurs diplômés, elles vont se retrouver en grande difficulté », pronostique-t-il.

Henri de Saint Roman

Source : Le Quotidien du médecin: 9588