Qui n'a pas rêvé un jour de larguer les amarres ? De tenter l'aventure ailleurs, là où l'herbe est plus verte, les patients peut-être plus aimables et les honoraires plus confortables ? Ce rêve, B +, société suisse spécialisée dans le recrutement de médecins étrangers, propose d'en faire une réalité.
L'entreprise projette d'attirer en priorité une cinquantaine de généralistes libéraux. La balance démographique de la Confédération l'exige puisque la Suisse ne forme que 900 praticiens par an – dont à peine quelques dizaines d'omnipraticiens. Toutes spécialités confondues, 200 partent à l’étranger chaque année…
Petit pays assez compliqué
« Mon job consiste surtout à décourager les volontaires », assure paradoxalement Jean-Paul Buchmann, un des responsables de B +. La Suisse a beau jouir d'une réputation de pays de cocagne, beaucoup de praticiens étrangers se casseraient les dents sur le mur des réalités helvètes. « Je déconseille aux gens insuffisamment motivés de venir s'installer chez nous, a précisé le recruteur, lors d'une récente réunion organisée à Paris à laquelle ont assisté une bonne trentaine de médecins. C’est un changement de vie radical dans un pays petit mais assez compliqué ».
Un conseil de bienséance, au passage : « C'est à vous de vous adapter à notre mode de vie, prévient-il, les Suisses n'ont pas à s'adapter au vôtre ». En revanche, Jean-Paul Buchmann répétera à plusieurs reprises que « le médecin est respecté en Suisse ». « Les patients sont bien élevés, et vous ne risquez pas de vous faire agresser ». La salle boit du petit-lait…
Les candidats à l'expatriation vont en apprendre de belles. En Suisse, 99 % des généralistes libéraux emploient une assistante médicale, payée environ 6 000 francs suisses (FS, soit 5 600 euros). Il faut considérer ce salaire rondelet non comme une dépense, mais comme un investissement, insiste le recruteur. « Elles s'occupent de l'informatique, de la comptabilité, des prises de rendez-vous, de l'accueil mais aussi des prises de sang, et elles font même les radios, énumère-t-il. Elles gèrent aussi les dossiers patients… » Les médecins, médusés, découvrent que ces assistantes abattent un boulot considérable et réalisent des actes médicaux.
Parce que je le vaux bien
Puis vient la description de l'environnement économique et social suisse, « complexe et morcelé ». Trois niveaux d'impôts y cohabitent : communaux, cantonaux et fédéraux. Les têtes s'allongent un peu mais Jean-Paul Buchmann sort sa botte secrète : « Pour un revenu moyen de généraliste – entre 200 000 et 250 000 francs suisses [soit 187 000 à 233 000 Ndlr] – votre taux d'imposition total n'excédera pas les 30 % ». Quant au prix moyen d'une consultation de médecine générale, il tourne autour de 120 francs suisses (112 euros). « C'est ce que vous valez vraiment », insiste le Suisse.
Les visages se détendent mais le « chasseur de médecins » souffle le chaud et le froid. De cette confortable rémunération brute, il faut déduire environ 470 euros par mois pour la couverture maladie (autant pour le conjoint et environ 230 euros par enfant) et payer aussi pour couvrir les autres risques (accident et maladie professionnelle, vieillesse, décès, invalidité, chômage).
Un tel paradis doit se mériter. Les médecins candidats devront obtenir une autorisation de pratique, délivrée par les autorités. Elle ne peut s'obtenir – après vérification des diplômes et du casier judiciaire – que si les docteurs vont s'installer dans une zone non surdotée pour y reprendre le cabinet d'un praticien partant à la retraite.
Rien à perdre
Au bout d'une heure et demie de réunion, chacun y va de son commentaire. « L’argent n'est pas mon moteur, assure une généraliste parisienne, mais il faut reconnaître que 23 euros, c'est misérable. Chez nous, on n’est plus considéré ; en Suisse, ça a l’air plus tranquille. Je suis encore plus motivée après ce que j’ai entendu ». Une autre médecin, exerçant en Picardie, semble partagée. « Je suis assez motivée, ma seule crainte est que j’exerce aujourd'hui en tant que médecin vasculaire, et j’espère que je saurai encore exercer comme généraliste ». Venu du nord de la France, un troisième généraliste n’a pas d’états d’âme. « En France, c’est mort, juge-t-il. Je n’ai rien à perdre à tenter ma chance ailleurs. En Suisse, je gagnerai mieux ma vie, et en prime je serai respecté, par les patients comme par l'assurance-maladie. »
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