La Réunion a-t-elle trouvé comment la médecine libérale pourrait venir au secours des services d’urgence ? C’est du moins ce qu’affirme l’association Med Run Effect, qui gère neuf des onze cabinets de garde de l’île et qui – forte d'un modèle atypique innovant – vient de faire reculer l’agence régionale de santé (ARS) et l’Assurance-maladie dans leur volonté de remettre dans le droit chemin réglementaire cette organisation locale de la permanence des soins ambulatoires (PDS-A).
Accès direct
De quoi s'agit-il ? À la Réunion, la PDS-A est organisée depuis de nombreuses années par des cabinets professionnalisés, le plus souvent en accès direct, avec des médecins libéraux qui n’ont pas d’autre activité. En raison de l'affluence, les consultations y sont extrêmement nombreuses, pas moins de 390 000 en 2021, et les praticiens qui gèrent cette activité ne sont pas toujours, loin s’en faut, inscrits au tableau de garde.
La régulation téléphonique préalable, qui n’est pas formellement obligatoire dans ce département, concerne à peine 50 000 patients et aucun rendez-vous n’est pris. Les patients qui souhaitent consulter aux horaires de PDS-A se rendent donc librement dans les neuf cabinets et les deux maisons médicales de garde, fixes et bien identifiés par la population. Ces sites sont dotés de petits plateaux techniques et bénéficient du renfort de personnels paramédicaux.
Réduire la pression aux urgences
Selon un rapport d'évaluation commandé en 2021 par l’ARS, cette organisation atypique des cabinets de garde permet de réduire de manière significative la sollicitation des services d’urgences (- 30 %), moins saturés qu’en métropole. En 2020, seuls 4 % des patients qui ont consulté dans ces structures de garde ont dû être réorientés vers les urgences (2 % en 2019).
L’audit évalue à un peu plus de deux millions d’euros (a minima) les économies réalisées par l’Assurance-maladie grâce aux actes réalisés dans ces cabinets spécialisés. Ce montant représente environ 65 % du coût des actes majorés réalisés pendant les horaires de la PDS-A. Mais, selon le rapport, même si cette organisation répond à l'évidence aux besoins de la population, elle s’est développée en dehors du cahier des charges classique de la permanence des soins.
En dehors des clous ?
À l’occasion de la révision de ce cahier des charges, l’ARS a donc souhaité dans un premier temps imposer l’obligation systématique d’inscription des médecins au tableau de garde pour effectuer des actes majorés, et elle a menacé d’accentuer les contrôles. Ce que refuse l'association gérant les cabinets de garde, qui a réclamé au contraire la reconnaissance de cette organisation libérale de garde qui fonctionne bien de longue date et qui colle à la réalité des besoins des Réunionnais. « Nous avons développé ces moyens parce qu’une véritable régulation n’a pas été mise en place, explique le Dr Grégory Reix, médecin de garde dans le sud de l’île. Si maintenant l’ARS m’empêche de mettre ces moyens, j’arrête. »
Fin octobre, l'association a appelé les cabinets de garde à la grève. Trois jours plus tard, un accord de sortie de conflit actait plutôt un recul des tutelles avec, certes, davantage de médecins devant être inscrits au tableau de garde (pour bénéficier des majorations PDS-A) mais aussi une promesse d'évaluation rapide des besoins réels dans les cabinets de garde d'ici à fin janvier.
Estimer l'état de santé
Alors que le nombre de lignes de garde devait passer de onze à quinze, il sera finalement de vingt. « C’est cohérent par rapport à la population de l’île », commente Étienne Billot, directeur général adjoint de l’ARS. Côté régulation préalable, les autorités sanitaires reconnaissent déjà qu’elles n'ont pas les moyens de traiter 390 000 appels par an. Les consultations des mineurs de moins de 16 ans pourront ainsi donner lieu à une facturation sans régulation ; et surtout ce sera aux médecins de garde eux-mêmes d’estimer si l’état de santé du patient adulte en face d’eux nécessitait bien une consultation en PDS-A. Les médecins de garde ne pourront donc pas appliquer la majoration à tous leurs actes – ils ne le faisaient en réalité déjà que pour 77 % d’entre eux.
Avec le CNR santé en perspective, l’accord local ne scelle qu’une situation transitoire. « Un débat doit s'ouvrir pour adapter le cadre réglementaire à ce modèle qui ne correspond pas au modèle national », explique Étienne Billot. « Est-ce qu’on suit un cahier des charges ou est-ce qu’on suit ce qui marche ? », questionne de son côté le Dr Grégory Reix. Pour pousser la deuxième hypothèse, l'association a écrit une lettre ouverte au ministre de la Santé et invite ses services à ausculter l’organisation réunionnaise de la PDS-A, qu’il estime pouvoir être décliné au plan national…
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