La publication dans nos colonnes d'un courrier du Dr Dinorino Cabrera, fondateur du Syndicat des médecins libéraux, dont il occupa la présidence de 1981 à 2008, a déclenché une vague de réactions – le plus souvent indignées – de la profession.
Le généraliste retraité s'insurgeait dans ce texte que sa mère, âgée de 94 ans et récemment opérée du cœur, ne trouve de médecin de famille qui accepte d'aller la voir à son domicile dans les Yvelines.
« Je suis outré. Il n'est pas normal que la profession libérale ne s'organise pas pour suivre et prendre en charge les personnes âgées qui ne peuvent pas se déplacer, nous écrivait-il. [...] Ça déconne complètement. J'ai envie de dire à la profession, il faut que vous vous réveilliez ! » Et l'ancien syndicaliste d'inviter ses confrères à mettre en place des délégations ou transfert de charges. « Ou il ne faudra pas s'étonner si les politiques cognent ! »
Quelques soutiens
Cette prise de position d'un ancien patron de syndicat représentatif ne pouvait pas laisser la profession indifférente. Plusieurs médecins ont soutenu le Dr Cabrera.
« Félicitations pour vos propos et bienvenue au club, lance le Dr Yves A. Mais vous ne pouvez pas accuser les médecins d’aujourd’hui, ils sont le résultat de ce que notre société à fait d’eux depuis l’école maternelle. Vous ne pouvez pas leur demander de se réveiller, ils sont certes hypnotisés par l’illusion du miracle rapide attendue de l’intelligence artificielle, mais ils ne dorment pas. »
Un autre ancien patron du SML, le Dr Eric Henry, a souhaité prolonger la réflexion du Dr Cabrera. « Les professions de santé sont pour beaucoup en blocage complet , affirme-t-il. Nos professions sont capables de s'adapter, [...] mais passer au stade d'entreprise inquiète ». Selon le généraliste breton, les instances représentatives doivent faire leur refonte « ou les décisions se prendront sans eux ».
« Comme toi je trouve inadmissible que les jeunes confrères ne fassent plus de visites, écrit le Dr Jean-Luc Annick, Cependant les honoraires minables de tous nos actes ont été approuvés par tous les syndicats, y compris le SML !!!! »
Conditions d'exercice plus difficiles
De nombreux généralistes se sont en revanche étonnés de ce qu'ils considèrent être une attaque en règle.
« C’est dur de constater qu’aucun médecin n’accepte de se déplacer au domicile de sa mère de 94 ans mais c’est curieux de s’attaquer à la profession quand on fait ce constat », analyse le Dr Jean-Paul Hamon, président de la Fédération des médecins de France (FMF). Selon lui, le Dr Cabrera « se trompe d’ennemi ». « Le Dr Cabrera ignore les tracasseries permanentes des élus locaux qui compliquent les visites à domicile en limitant les possibilités de stationnement et en ne protégeant plus les médecins qui acceptent encore de se rendre au domicile des patients handicapés ou grabataires. » Selon le généraliste de Clamart, « les conditions d'exercice se sont aggravées depuis 2008 et que la visite à domicile est toujours à 35 euros ».
Sur legeneraliste.fr, plusieurs médecins ont estimé que l'ancien syndicaliste, aux affaires pendant une trentaine d'années, avait une responsabilité dans la situation actuelle. « Dr Cabrera il me semble que vous étiez un fan du numerus clausus et du secteur 2... Apparemment ça n'a pas marché. Toujours pas de sens critique sur vos positions antérieures ? », réagit le Dr Alain F.
Le réquisitoire du Dr Lehmann
Le réquisitoire le plus sévère a sans conteste été porté par le Dr Christian Lehmann, qui a adressé sur son blog une longue réponse au Dr Cabrera. « Ce n'est pas tous les jours qu'un des fossoyeurs de la médecine générale en France vient se plaindre du désastre qu'il a contribué à créer », assène-t-il. Le médecin écrivain reproche surtout aux syndicalistes signataires de la convention de l'époque (CSMF et SML) d'avoir supprimé l'option de médecin référent au milieu des années 2000 pour imposer le système du médecin traitant. « Dans les années qui suivirent, j'ai vu nombre de mes confrères et consœurs dévisser, déplaquer : ceux qui s'étaient investi dans le système référent, qui avaient opté pour une médecine différente, plus lente, moins dispendieuse [...] ; ceux qui avaient cru et espéré exercer leur art différemment étaient relancés dans la course à l'acte et à la prescription. » Selon le Dr Lehmann, la médecine générale, « déjà peu attrayante de par la charge de travail et les horaires, gagna en complexité administrative ». Sans les moyens de rémunérer un secrétariat, nombre de médecins âgés ont accéléré leur départ en retraite, ajoute-t-il (le Mica ayant entraîné une fin d'activité prématurée à des milliers de médecins).
« Vous récoltez ce que vous avez semé,[...] vous avez mis la médecine générale à terre », conclut le généraliste.
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