« C’est inadmissible. On bafoue le contrat conventionnel qui a été validé par l’État et publié au Journal officiel », fulmine ce vendredi le Dr Franck Devulder, président de la CSMF, après avoir appris la suspension pour six mois des revalorisations tarifaires programmées initialement en juillet 2025.
De fait, l’avis du comité indépendant sur les dépenses maladie, qui a pointé en milieu de semaine un « risque sérieux » de dépassement de l’enveloppe 2025 – avec une ampleur dépassant le seuil d’alerte de 0,5 % – oblige le directeur général de la Cnam à suspendre automatiquement les évolutions tarifaires programmées postérieurement à cette procédure d’alerte. « Pour les professionnels de santé concernés (médecins spécialistes, masseurs-kinésithérapeutes, chirurgiens-dentistes libéraux), les revalorisations sont donc suspendues et s'appliqueront au 1er janvier 2026 », a précisé la Cnam à l’AFP. Un gel de six mois des revalorisations programmées dans les accords qui passe très mal dans la profession.
Cette procédure est prévue noir sur blanc dans le code de la Sécurité sociale mais elle n’avait jamais abouti à un blocage des revalorisations programmées. L’article L162-14-1-1 prévoit qu’en cas de risque sérieux de dépassement de l’Ondam, tout ou partie imputable aux dépenses de soins de ville, « l’entrée en vigueur de toute mesure conventionnelle ayant pour effet une revalorisation au cours de l'année des tarifs des honoraires, rémunérations et frais accessoires (...) est suspendue, après consultation des parties signataires à la convention nationale concernée ». Et à défaut d'un avenant négocié fixant un nouveau calendrier, l'entrée en vigueur des avancées tarifaires est reportée au 1er janvier de l'année suivante. Mais, « il n’y a pas eu de concertation, tonne le Dr Devulder. Là, on efface d’un trait de plume deux ans de négociations parce que le gouvernement n'ose pas taper là où il y a des économies, c’est-à-dire sur l’hôpital qui doit être réformé ».
Sept spécialités pénalisées
Ce report des revalorisations frappe des spécialités cliniques souvent au bas de l’échelle des revenus, qui auraient dû bénéficier de coups de pouce ciblés en juillet, en vertu de la convention médicale : pédiatrie, psychiatrie, gynécologie, dermatologie, endocrinologie, gériatrie et médecine de réadaptation. Ces spécialités devaient en effet bénéficier de la deuxième étape de leur progression tarifaire.
Par exemple, la psychiatrie, spécialité en souffrance, devait voir sa consultation de référence portée à 57 euros, les gériatres devaient atteindre leur cible de 42 euros, les gynécologues le tarif de 40 euros, etc.. « Alors que nous sommes dans l’année de la santé mentale : c’est un comble ! », se désole le Dr Bruno Perrouty, président des spécialistes de la CSMF, qui dénonce une « rupture du pacte conventionnel ».
À la tête d’Avenir Spé, le Dr Patrick Gasser ne mâche pas ses mots, exaspéré que les médecins soient « les dindons de la farce » des dérapages financiers. « Ce gel brise la confiance des soignants libéraux envers la Cnam. Comment, dans ce contexte où des tarifs d’actes n’ont pas été revalorisés depuis 2004, encourager les jeunes professionnels à rejoindre notre démarche ? Au final, c’est la population qui va en pâtir », déclare au Quotidien le gastroentérologue de Nantes, qui appelle la Cnam à négocier des solutions « moins délétères ». Et de proposer « l’application des références médicales opposables pour telle ou telle pathologie ». Dans ce cadre, « les prescripteurs qui s'écarteraient des référentiels de bonnes pratiques devraient payer des indus à la Cnam », suggère-t-il. Une rencontre urgente avec la ministre de la Santé (Catherine Vautrin), le ministre délégué de la Santé (Yannick Neuder) et le directeur de la Cnam (Thomas Fatôme) est « indispensable », réclame Avenir Spé.
Les soins de ville ne seront ni les variables d’ajustement ni les victimes expiatoires d’une politique budgétaire incohérente
Les Libéraux de santé (LDS)
Le SML se déclare « très en colère » face à ce blocage imposé des honoraires. « On a une Caisse d’allocations familiales qui “égare” 6,3 milliards d’euros, comme l’a indiqué la Cour des comptes et derrière, on fait du gel tarifaire sur la branche santé de la Sécu auprès de gens qui avaient obtenu des revalorisations totalement légitimes. Où est la logique ? », tacle la Dr Sophie Bauer, présidente du SML. Elle incite « les médecins de secteur 2 Optam pour lesquels les propositions de renouvellement de contrat sont ridicules d’en sortir ».
Les Libéraux de santé (LDS), organisation qui fédère les principaux syndicats de professionnels de santé libéraux (médecins, pharmaciens dentistes, infirmiers, kinés, orthophonistes, biologistes, audioprothésistes, podologues, orthoptistes) considèrent que ce gel est « une trahison, un coup de massue » et mettent en garde le gouvernement contre un conflit inévitable « s’il ne fait pas marche arrière ». « Les soins de ville, recadrent Les Libéraux de santé, ne seront ni les variables d’ajustement ni les victimes expiatoires d’une politique budgétaire incohérente et déséquilibrée ». Et d’appeler les troupes libérales à préparer la mobilisation.
Car les médecins ne sont pas les seuls touchés : selon la Fédération française des masseurs kinésithérapeutes, c'est « une hausse de l'ordre de 8 % sur les actes de kinésithérapie les plus courants qui va être gelée ».
Mobilisation des libéraux début juillet ?
Pour l'Union nationale des professionnels de santé (UNPS, libéraux), cette situation de gel tarifaire est « le résultat d'un défaut manifeste de pilotage de l'Ondam. En fixant en 2025 un objectif irréaliste de progression des soins de ville à 2,82 %, sans corrélation avec la réalité des besoins ni avec les dynamiques de terrain, le gouvernement a directement conduit à cette issue ».
L'UNPS réclame la fin de l’actuel cycle quinquennal « figé » des négociations, la suppression des stabilisateurs économiques et la sécurisation des engagements tarifaires. En attendant, cette organisation appelle à « rejoindre la mobilisation de l'ensemble des professionnels de santé libéraux à partir du 1er juillet », pour défendre la stabilité du pacte conventionnel.
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