Aucun syndicat ne manque à l'appel. Le vendredi 13 octobre, les six organisations représentatives des praticiens libéraux (CSMF, MG France, FMF, SML, Avenir-Spé - Le Bloc et UFML-S) invitent leurs troupes à stopper les activités médicales et chirurgicales. Un front uni de la colère qui fédère les médecins exerçant au sein des cabinets mais aussi des cliniques.
Si les sensibilités syndicales diffèrent, les objectifs sont communs. Huit mois après l'échec des discussions avec la Cnam et la publication du règlement arbitral jugé humiliant (avec une hausse de 1,50 euro des consultations), les syndicats exigent non seulement une reprise rapide des négociations mais l'assurance d'« un véritable plan » de revalorisation de la médecine libérale, capable de freiner les départs et d'inciter les jeunes pousses à s'installer en ville, dans un contexte de pénurie médicale.
« 30 euros, juste du rattrapage »
Sur le strict plan tarifaire, la revalorisation de la consultation de référence à 30 euros semble désormais une condition sine qua non de réussite de ces pourparlers. Invité des Libéraux de santé (LDS), une intersyndicale interpro, le ministre de la Santé Aurélien Rousseau a ouvert la porte politiquement, confirmant que le tarif de 26,50 euros (au 1er novembre) n'était qu'une étape. Et dans nos colonnes, le DG de la Cnam Thomas Fatôme est allé plus loin. Il renonce au contrat d'engagement territorial (CET, qui imposait des contreparties aux tarifs réévalués) et abat une partie de ses cartes. « J’entends et j’écoute : celui qui n’a pas compris que les 30 euros étaient un sujet majeur n’a pas suivi ce qui s’est passé ces derniers mois. Je suis lucide », explique-t-il.
Mais les syndicats veulent transformer l'essai. « 30 euros, c'est juste le rattrapage de l'inflation, corrige la Dr Agnès Giannotti, présidente de MG-France. Il ne faut pas oublier les autres mesures d'attractivité pour reconnaître le rôle spécifique du médecin généraliste traitant ». La question de la hausse du forfait patientèle médecin traitant est posée. Et les syndicats de spécialistes sont eux aussi déterminés à se faire entendre, qu'il s'agisse des cliniciens ou des spécialités de bloc opératoire, très mobilisées.
Or, pour l'instant, l'annonce d'un objectif national de dépenses maladie (Ondam) 2024 à 3,2 %, en deçà de l'inflation, n'augure rien de bon. « Si on reste à ce niveau budgétaire, on n'est pas près d'aboutir à une convention qui donne les moyens aux médecins de soigner tous les Français », avertit le Dr Franck Devulder, président de la CSMF, qui réunira ses cadres à Arcachon début octobre. « C'est inférieur à l'inflation donc il n'y aura pas de marges de manœuvre pour revaloriser les tarifs pour nous », redoute déjà le Dr Jérôme Marty, président de l'UFML-S.
Cheval de Troie
Au-delà cette bataille des honoraires, cruciale, les syndicats accroissent la pression sur l'exécutif et les parlementaires pour verrouiller la proposition de loi (PPL) de Frédéric Valletoux (Horizons) sur l'accès aux soins, déjà adoptée en première lecture par l’Assemblée mi-juin et prochainement examinée par le Sénat. Beaucoup y voient un cheval de Troie pour imposer des contraintes aux libéraux, en matière de gardes ou d'installation. « Frédéric Valletoux a redit clairement que son texte ne comportait pas d’obligation individuelle de permanence des soins, ni de régulation de la liberté d’installation », a temporisé Thomas Fatôme, dans un entretien au Quotidien. « Cette proposition de loi demeure pour nous un texte de contrainte », juge de son côté le Dr Patrick Gasser (Avenir Spé - Le Bloc). La question de la participation obligatoire des médecins des cliniques à la PDS-ES, lorsque la situation territoriale l'exige, est un point conflictuel.
La mobilisation intersyndicale a l’appui du collectif Médecins pour demain (qui avait popularisé l'an passé la revendication d'une consultation à 50 euros), de l'association SOS médecins et des cliniques. Le président de la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP), Lamine Gharbi, se dit ainsi « en phase » avec les revendications des libéraux « car eux aussi, doivent faire face à l’inflation ».
L'ampleur du mouvement aura valeur de test. « Ça va être une grève très dure », prédit le Dr Luc Duquesnel, chef de file de la branche généraliste de la CSMF. Au-delà de l'arrêt d'activité dans les cabinets et les cliniques, d'autres actions pourraient être envisagées ou relancées : grève de la permanence des soins, mouvement de désobéissance tarifaire, voire déconventionnement collectif. « Cela va monter crescendo, ajoute le généraliste mayennais. On est dans une telle situation qu’il n’y a pas d’autres choix que de provoquer un électrochoc ».
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