À deux jours du premier tour des législatives, le gouvernement accélère la publication de textes réglementaires adoptés par la majorité parlementaire sortante pour combattre la pénurie médicale. C’est le cas ce vendredi 28 juin de trois décrets étendant le rôle des masseurs-kinésithérapeutes, des opticiens-lunetiers et des infirmiers – trois professions qui réclamaient la sortie de ces textes pour accroître leurs prérogatives.
Kinés : accès direct encadré
Le premier décret organise l'expérimentation « pour cinq ans » de l'accès direct (sans ordonnance du médecin) des patients aux kinés lorsqu'ils sont adhérents d’une communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS). Ce test avait été acté dans la loi sur l’amélioration de l’accès aux soins de mai 2023, portée par la députée (Renaissance) et rhumatologue, Stéphanie Rist.
L’examen de cette loi avait nourri un bras de fer entre la profession et les paramédicaux. Dénonçant un risque de dérégulation du parcours de soins, le lobby des médecins avait réussi à restreindre cette nouvelle pratique. Dans le cadre de l’expérimentation, le nombre de séances en accès direct a été limité à « huit séances par patient » par an. Le kiné doit aussi orienter le patient vers son médecin traitant ou, à défaut, un autre médecin dès lors qu'un diagnostic ou un avis médical s'avère nécessaire. Enfin, « un bilan initial et un compte rendu des soins réalisés » sont à reporter dans le DMP et à adresser au patient et au médecin traitant de ce dernier.
Ce feu vert a été aussitôt salué par l’Ordre et les organisations représentant les kinés. « C’est une reconnaissance du mode d’exercice largement pratiqué dans près de 50 pays dans le monde », commente Guillaume Rall, président du Syndicat national des masseurs-kinésithérapeutes rééducateurs (SNMKR). Cette expérimentation se lancera dans 16 départements (dont trois ultramarins) et non six comme le prévoyait initialement la loi Rist. « Ce n’est qu’une étape avant la généralisation de l’accès direct sur l’ensemble du territoire national », veut croire l’Ordre des kinés. La Fédération française des masseurs kinésithérapeutes rééducateurs (FFMKR) a salué la publication du décret mais regretté que l'accès direct « qui va dans le sens de l'histoire » fasse l'objet « d'autant de dispositifs transitoires et expérimentaux ».
Adapter les prescriptions
Toujours en application de la loi Rist, le deuxième décret autorise les opticiens-lunetiers à adapter les prescriptions du médecin ophtalmologiste ou de l'orthoptiste lors de la première délivrance de verres correcteurs ou de lentilles de contact. Dans ce cas, le professionnel devra solliciter « l'accord écrit du prescripteur » par tout moyen (messagerie sécurisée, etc.) avant de procéder à l'adaptation de la prescription. « En l'absence de réception de la réponse écrite dans le même délai de dix jours, la réponse du prescripteur est réputée favorable », peut-on lire dans le décret.
Or ce dernier point (accord tacite) ne convient pas aux représentants des ophtalmologistes. « Cette phrase est en totale contradiction avec les accords préalablement établis lors des réunions de travail avec le ministère de la Santé, dénonce le Dr Vincent Dedes, président du Snof. Si un ophtalmo ne répond pas ou n’est pas attentif, l’opticien pourra modifier la prescription comme il le veut. Il y a un risque de perte de chance pour le patient ». Un recours en annulation du décret auprès du conseil d’État devrait être déposé.
Infirmier référent : nouveau statut !
S'agissant des infirmiers, le troisième décret met en place la fonction d'infirmier référent, réclamée de longue date par les infirmiers mais, là encore, critiquée par des médecins qui y voient une possible concurrence avec le médecin traitant. Ce rôle d'infirmier référent – institué par la loi Valletoux de décembre 2023 – doit permettre à ces professionnels d'accroître leur rôle dans la coordination des soins pour les personnes atteintes d’ALD et dans la prévention. À l’instar du système du médecin traitant, l'assuré en ALD peut déclarer le nom de son infirmier référent choisi, avec son accord.
« L’infirmier référent sera à même d’identifier les besoins spécifiques de chacun, de prodiguer des conseils de prévention, et de coordonner les interventions nécessaires », salue le Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI). Le principal syndicat d'infirmières libérales, la FNI, a promis de se mobiliser auprès du gouvernement formé à l'issue des législatives afin d'obtenir l'ouverture « dès la rentrée » de négociations avec l'Assurance-maladie pour rémunérer la nouvelle fonction d'infirmier référent.
Un autre décret est très attendu : celui sur l’accès direct aux infirmiers en pratique avancée (IPA) exerçant dans des structures collectives (en hôpital, clinique, dans un établissement social ou médico-social ou, en ville, dans une maison ou centre de santé). Ce texte avait soulevé un tollé du côté des médecins libéraux.
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