Peu encouragée par les pouvoirs publics au début des années 2000 et délaissée par les médecins généralistes en raison de son tarif peu attractif, la visite à domicile est de nouveau considérée comme indispensable pour le suivi des patients âgés à domicile. À tel point que l’Assurance maladie, qui avait contribué à son abandon, se dit prête à la revaloriser dans un futur avenant. Revalorisation de la MD selon l’âge, extension de la VL… plusieurs options sont sur la table. Et une question demeure : quels moyens financiers la Cnam est-elle prête à investir ?
D’un extrême à l’autre : autrefois cotée à tort et à travers, la visite à domicile du médecin généraliste s’est raréfiée au fil des années jusqu’à devenir, parfois, un privilège réservé aux patients de longue date. Grâce – la faute ? – à un accord de bon usage des soins paraphé en 2002 par la Caisse nationale d’Assurance maladie (Cnam) et MG France. À l’époque, les visites à domicile représentent près d’un quart des actes cliniques remboursés par la Cnam.
Depuis, c’est la chute libre. En 2019, un peu moins de 19 millions de visites à domicile assurées par un médecin généraliste ont été remboursées par la Caisse, contre 65 millions en 2001. Sur les huit dernières années, le nombre de visites facturées a diminué en moyenne de 5 % chaque année. Car si l’immense majorité des omnipraticiens continuent de se déplacer chez une partie de leur patientèle, le nombre moyen de déplacements réalisés a, lui, considérablement baissé. Les médecins généralistes ont ainsi coté 382 visites en moyenne en 2019, contre 530 en 2012. Un déclin principalement dû au tarif insuffisant de la visite, mais pas que. Entre deux visites à 35 euros (70 euros) et quatre consultations à 25 euros (100 euros) en une heure, le choix de beaucoup de généralistes est vite fait. « Clairement, le compte n’y est pas. Le tarif de la visite ne prend aucunement en compte l’effort que font les généralistes », note le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF.
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Cette dégringolade du nombre de visites n’est pas sans conséquence, dans un pays à la population vieillissante et désireuse de rester le plus longtemps possible chez elle. Nouveau président de SOS Médecins France, le Dr Jean-Christophe Masseron est bien placé pour le savoir : il évalue à 30 % de l’activité de SOS Médecins Chambéry, où il exerce, la part de visites chez des personnes âgées et/ou polypathologiques. Une proportion qui n’a cessé d’augmenter ces dernières années, assure-t-il. « Le Samu le reconnaît : il pourrait difficilement se passer de nos services. Il nous transfère directement de plus en plus de requêtes, note le Dr Masseron. Ce sont des patients ou leur infirmière qui appellent et n’ont pas de solution car le médecin traitant n’est pas disponible à ce moment-là. Sans nous, ces patients finiraient hospitalisés, ou au moins transportés en ambulance aux urgences, alors qu’on peut les prendre en charge en ville. »
Un problème dont les pouvoirs publics semblent enfin prêts à se saisir. À l’aube du débat sur la loi Grand âge et autonomie, cet acte, symbolique de toute une profession, pourrait en effet être relancé. Farouchement opposés à toute revalorisation de la consultation (C ou G), les pouvoirs publics sont en revanche enclins à rendre la visite plus attractive. Reconnaissant le rôle joué par la Cnam dans la chute du nombre de visites, le directeur général de la Caisse, Thomas Fatome, a convenu, mi-septembre, de la nécessité de « paramétrer une visite médicale plus incitative » afin de maintenir les personnes âgées le plus longtemps chez elles. « Si ça permet en plus d’éviter soit des hospitalisations, soit des prises en charge en établissement, je pense que l’Assurance maladie y a intérêt », a-t-il ainsi expliqué lors de l’ouverture de la négociation de l’avenant 9 à la convention médicale.
Une marge de manœuvre financière a priori réduite
À charge désormais aux partenaires conventionnels de trouver un accord. Soulignant que les visites de confort n’existent plus et donc que la quasi-intégralité des visites à domicile effectuées par les médecins de famille concernent des patients polypathologiques et/où âgés ne pouvant pas se déplacer au cabinet, les syndicats de médecins libéraux rêvent d’une visite unique, rémunérée au niveau de l’actuelle visite longue (VL + MD, 70 euros). Celle-ci est actuellement réservée aux patients atteints d’une maladie neurodégénérative, en soins palliatifs (trois cotations maximum par patient chaque année) et aux nouveaux patients en affection longue durée (ALD) ou âgés de plus de 80 ans pour lesquels le praticien devient le médecin traitant.
« La distinction entre visite et visite longue n’a pas lieu d’être, fait valoir le Dr Luc Dusquesnel. Toutes les visites sont des visites longues. La visite courte, je ne la connais pas ! » Selon lui, fixer ce tarif reviendrait à « prendre en compte l’investissement des médecins traitants pour maintenir leurs patients à domicile ».
Un doux rêve pour le moment. Car, rappelons-le, la relance de la visite à domicile n’est qu’une des multiples orientations qu’a tracées le ministre de la Santé, Olivier Véran, à l’Assurance maladie dans le cadre des négociations conventionnelles en cours. Et les moyens financiers de la Caisse ne sont pas illimités, loin s’en faut. Seuls 300 millions d’euros sont pour l’heure prévus dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale afin de revaloriser l’ensemble des professionnels de santé libéraux, sans qu’on ne soit certain que ce montant corresponde effectivement à l’enveloppe dont dispose la Caisse pour les négos.
À lui seul, l’élargissement de la VL à tous les patients ALD âgés de plus de 75 ans coûterait 140 millions d’euros par an à la Caisse, selon des estimations qu’elle a présentées la semaine passée aux syndicats. Le coût resterait significatif si l’âge retenu était de 85 ans, avec 82 millions d’euros annuels. Les syndicats de médecins espèrent donc également une revalorisation de la majoration de déplacement (MD), bloquée à 10 euros. Mais là encore, la marge de manœuvre probablement limitée de l’Assurance maladie pose problème. Une revalorisation de 10 euros de la MD pour tous les patients en ALD coûterait 135 millions d’euros à la caisse. Si cette augmentation ne concernait que les patients de plus de 85 ans, il en coûterait 82 millions d’euros à la Cnam, et 68 millions si le critère ALD était ajouté. Les partenaires conventionnels seront donc probablement amenés à faire des arbitrages pour privilégier des visites chez telles catégories de patients (selon l’âge, l’ALD, voire d’autres critères complémentaires). Des sommes importantes qui pourraient conduire la Caisse à opter pour un « saupoudrage », avec un timide élargissement du périmètre de la VL d’une part et une légère augmentation de la MD – pour tout ou partie des patients ? – d’autre part, selon le Dr Battistoni, président de MG France.
« Une autre piste serait de pérenniser la mesure dérogatoire instaurée depuis le début de la crise sanitaire (prolongée jusqu’à la fin de l’année, ndlr), qui permet aux médecins de coter VG et MU ainsi que d’appliquer la majoration de déplacement pour les trois premiers patients à qui ils rendent visite en Ehpad », suggère le Dr Masseron. Pour le nouveau patron de SOS Médecins, il est désormais « difficile de faire marche arrière » sur ce sujet.
Un acte nécessaire mais contraignant
Et quand bien même l’Assurance maladie disposerait de davantage de latitude financière, le problème ne serait que partiellement réduit. Car tout n’est pas qu’une question d’argent. « Si vous consacrez des demi-journées aux visites, vous avez presque un rapport du simple au double en nombre de personnes vues par rapport au cabinet », observe le Dr Élise Fraih, généraliste installée à Dachstein (Bas-Rhin) et vice-présidente de la section « Installés » du syndicat de jeunes généralistes ReAGJIR. « Vous pouvez donc vous dire qu’en termes d’accès aux soins, vous “perdez du temps”. Même si vous en gagnez pour les patients que vous voyez », explique celle qui consacre deux demi-journées à cet exercice chaque semaine. Reconnaissant l’aspect « chronophage » de la tâche, cette généraliste souligne que la visite « permet vraiment de voir comment vivent nos patients ». « Ce sont des moments de vie, ce n’est pas qu’une contrainte », complète-t-elle.
Sur legeneraliste.fr, 58 % des 287 répondants à un sondage ont ainsi affirmé qu’ils ne feraient pas plus de visites si « la visite était notoirement revalorisée ». « Quel que soit le montant de la revalorisation d’une visite, c’est le temps qui nous manque. Une ou deux visites par jour, c’est l’assurance de rentrer une heure plus tard à la maison », résume l’un d’eux. « La visite à domicile est ce qui perturbe le plus l’organisation professionnelle », abonde de son côté le Dr Duquesnel. Pour inciter les médecins généralistes à retourner chez leurs patients, il convient donc de leur octroyer davantage de temps médical. « Il faut repenser tout le modèle d’exercice, analyse le Dr Jean-Christophe Masseron. Si on soulage un peu les médecins de leurs tâches administratives, ils auront davantage de temps et pourront en consacrer une partie à la visite (…) Je pense que c’est une frustration pour l’ensemble des médecins, ce n’est pas de gaieté de cœur que la visite est peu à peu abandonnée. »
En outre, d’autres leviers peuvent être activés. Le Dr Élise Fraih souligne ainsi que la technologie peut avoir son importance. « Nous n’avons pas toujours accès à notre logiciel métier chez les gens, explique-t-elle. Nous avons donc un moins bon aperçu de leur dossier médical. Comme les jeunes sont souvent attentifs à avoir un dossier bien tenu, la visite peut être quelque chose qu’ils aiment un peu moins faire. »
Mais avant d’en arriver là, la question financière devra être réglée. Avant la fin de l’année ? Tel est en tout cas l’objectif fixé par Olivier Véran à Thomas Fatome. Pour l’heure, les partenaires conventionnels n’ont toutefois pas pris le chemin d’un accord rapide. Celui-ci pourrait même ne pas intervenir cette année, repoussant à plus tard la relance de la visite à domicile.