Le stage de gynécologie était une étape que j’appréhendais. Étant passée externe dans un service en manque de tout (de médecins, d’internes, de sages-femmes…), j’avais déjà pu constater les dégâts occasionnés chez les patientes dans de telles conditions. Et on peut dire que mes appréhensions ont été confirmées… tout en m’amenant à réfléchir.
Le premier jour, dès la première heure, j’ai entendu des propos grossophobes envers les patientes. Intérieurement, j’étais révoltée, écœurée de voir que tous mes a priori envers cette spécialité se confirmaient. On parle tout de même d’un domaine qui touche à l’intime, de manière parfois très intrusive, et, de mon point de vue, le respect des patientes – même si elles ne sont pas présentes dans la pièce quand on parle d’elles – est une valeur fondamentale et non négociable. Certain•es argueront qu’il ne s’agit que de plaisanteries et qu’il ne faut pas prendre les choses autant à cœur… Je ne suis pas d’accord.
Les semaines passant, à ma grande honte, je me suis habituée à ces commentaires. J’ai même fini par rire à certains, qui me semblaient moins irrespectueux que d’autres. J’ai moi-même éprouvé de l’irritation face à certaines patientes qui consultaient « pour rien » (entendons-nous bien, il n’y a jamais de consultation inutile et la réassurance est un motif très valable de consultation, mais quand il est 4 heures du matin et que vous bossez non stop depuis plus de 15 heures, le ras-le-bol finit inévitablement par pointer le bout de son nez).
Cela m’a amenée à m’interroger : comment en arrive-t-on à ce type de comportements ? Bien sûr, il y a le fameux esprit carabin, aka « rire de tout et même du pire pour dédramatiser ». Évidemment, nous vivons dans une société patriarcale qui considère les corps des femmes comme des objets. Mais cela ne suffit pas comme explication. À cela s’ajoutent donc, en vrac : la fatigue du personnel soignant, les sous-effectifs et l’intériorisation de certains comportements machistes dans un but inconscient d’intégration du groupe.
On observe aussi un phénomène intéressant : le glissement des motifs de recours aux services d’urgences vers des motifs de « consultation simple ». Là encore, plusieurs facteurs : la démographie médicale en chute libre dans certaines spécialités très demandées comme la gynécologie et la médecine générale, le manque de formation des médecins généralistes dans certains domaines et l’augmentation de la consommation de soins par la population (mieux « éduquée » et donc plus sensible aux problématiques de santé, ou simple effet « fast-food » avec un recours facile et rapide aux urgences ?). Or, en tant que soignant, cela peut être très frustrant de se retrouver à effectuer une consultation pour une simple mycose vaginale en pleine nuit alors que les salles d’accouchement sont pleines et que la moitié des parturientes présentent des complications.
Alors, oui, ces comportements sont intolérables et inexcusables, et il faut continuer de les dénoncer, agir en amont et effectuer de la prévention. Néanmoins, la difficulté n’est pas simplement de ne plus faire de blagues : il s’agit d’une problématique bien plus globale, avec des enjeux sociétaux et structurels. Au fond, je pense (j’espère !) que peu de soignant•es sont réellement malveillants et misanthropes. Malheureusement, les conditions de travail déplorables et la structure actuelle des soins plus que bancale peuvent conduire même les meilleur•es d’entre nous à devenir maltraitant•es.
Pour fournir aux patientes les meilleurs soins possibles dans des conditions optimales, une piste intéressante à explorer serait donc une refonte totale des structures d’accès aux soins, un recrutement massif et une formation pointilleuse de soignant•es, ainsi qu’une prévention systématique de l’épuisement professionnel.
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