C’est drôle, la vie, parfois. En septembre, je clamais mon amour de la médecine générale. Et c’est toujours le cas, je suppose. Mais ce mois-ci, le premier mot qui me vient à l’esprit quand on dit « médecine générale » est « mépris ».
Dans les études de médecine, on a l’habitude d’être méprisé. Je ne pensais pas pouvoir être encore choquée par le manque de considération envers les étudiant∙e∙s en santé.
On apprend à être méprisé dès l’externat. L’externe est en marge de l’équipe, il fait le sale boulot. L’externat, où nous sommes censés apprendre notre métier à l’hôpital, mais où des équipes débordées n’ont pas toujours le temps d’apprendre quelque chose à l’étudiant∙e. Sans compter les chefs qui pensent encore que l’enseignement par la terreur et l’humiliation est la plus formidable des pédagogies.
Puis vient l’internat, avec un salaire inférieur au smic horaire, indexé sur 48 heures par semaine. Auxquels s’ajoutent les gardes, les chefs qui vont dormir, les négociations incessantes pour obtenir des examens complémentaires, les équipes soignantes à bout avec lesquelles il faut composer, et la thèse à travailler sur notre temps libre.
Venons-en à la réforme. Une quatrième année de médecine générale, pourquoi pas. Nous pourrions en profiter pour mieux nous former sur nos sujets d’intérêts ou sur les choses que doit maintenant faire le médecin généraliste par manque de spécialistes : dermatologie, psychiatrie…
Mais non, cette quatrième année servirait clairement à combler le manque d’effectifs dans les déserts médicaux.
Je me pose alors plusieurs questions. Tout d'abord, pourquoi nous payer comme des internes une année de plus ? Comment justifier d’exiger des internes de travailler 50 heures par semaine pour un tel salaire ?
Autre question : avec un premier cycle de six ans, puis quatre années d’internat, soit dix ans d’études, à quel âge pourrais-je commencer à vivre ma vie ?
Le mépris, ce sont aussi ces médecins qui disent « oui, les jeunes doivent y aller ». C’est envoyer des jeunes payer les erreurs du passé. C’est envoyer des jeunes là où eux ne veulent pas aller. C’est choisir de garder sa vie, en préférant que d’autres soient sacrifiés.
Ce mépris m’a poussée à penser égoïstement, moi aussi : qui ira chercher mes enfants à l’école si je dois faire 1 h 30 de route et que la garderie périscolaire ferme à 18 heures ? Eh bien, j’arriverai au cabinet à 10 heures pour en partir à 16 heures.
Sans compter qu’il y a peu (pas ?) de zones surdenses. Il s’agit donc d’empêcher une installation dans une zone sous-dense au profit d’une autre. Ainsi, plutôt que de réaliser mon projet, c’est-à-dire de m’implanter dans un territoire et d’y organiser un véritable réseau de soins, je compterai les heures qui me séparent du départ.
Oui, c’est inadmissible pour les personnes vivant dans ces zones. Mais peut-être aurait-il fallu anticiper le vieillissement des enfants du babyboom, l’amélioration des thérapeutiques et l’allongement de l’espérance de vie. Anticiper la retraite des médecins et le changement des habitus. Nous voulons avoir une vie, au même titre que nos patient∙e∙s. Certes, travailler plus de 35 heures, mais garder du temps pour les loisirs et la vie de famille.
Enfin, l’argument « seuls les jeunes vraiment motivés entreront en première année » gagne à mon sens la palme de la mauvaise foi. À 18 ans, on est trop jeune pour se rendre compte de l’implication et des sacrifices que demandent ces études : un premier concours, l’externat, un deuxième concours, l’internat, la thèse…
Ces futurs médecins seront exactement comme nous : des jeunes qui avaient envie, qui voulaient aider les autres et qui se retrouveront dégoûtés. Dégoûtés de l’hôpital public, dégoûtés du système de soins et dégoûtés du mépris avec lequel on les traite.
N. B. : les messages de soutien que je reçois des médecins généralistes lisant cette revue font chaud au cœur, merci !
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