LE QUOTIDIEN : À Marseille, un ancien interne a été reconnu coupable d’homicide involontaire, dix ans après avoir commis une erreur médicale ayant entraîné la mort d’un patient. Ne faut-il clarifier le statut juridique des internes ?
Pr BENOÎT VEBER : Dans l’histoire de l’internat, les internes étaient des jeunes médecins en apprentissage de leur spécialité. Aujourd’hui, ils revendiquent de plus en plus un statut d’étudiant et moins de jeune médecin. Ils oscillent entre ces deux statuts, selon ce qui les intéresse. Une ambiguïté perdure et cela devrait être tranché. Je pense comme beaucoup de médecins hospitaliers, qu’un étudiant qui intègre un 3e cycle est, par essence, un jeune médecin en cours d’apprentissage, rémunéré par l’hôpital. Il a donc forcément des responsabilités médicales.
Cette affaire relance aussi le débat sur le temps de travail des internes. De nombreux hôpitaux et services continuent de dépasser allègrement le seuil des 48 heures hebdomadaires…
Les CHU doivent respecter la loi et mettre en place des tableaux de service pour retracer le temps de travail des internes. C’est très important qu’il y ait une transparence. Attention toutefois à un cadre trop rigide ! La vision syndicale est normale, elle défend les 48 heures maximum de travail – gardes comprises. Mais la réalité du terrain est qu’un certain nombre de jeunes médecins – passionnés par ce qu’ils font – vont dépasser ce seuil. Les chirurgiens, par exemple, ont parfois l’impression de perdre des opportunités d’apprentissage lorsqu’une chirurgie d’exception est programmée le lendemain d’une journée travaillée et qu’ils ont déjà fait leur temps de travail. Certains préféreront ne pas louper ça ! Dans ces cas-là, doit-on considérer que c’est le CHU qui force à rester ou que c’est l’interne qui dépasse le temps de temps de travail ? Cela doit rester souple. C’est important de ne pas gêner la passion et la soif d’apprendre.
Les CHU doivent respecter la loi et mettre en place des tableaux de service pour retracer le temps de travail des internes
Mais des suspensions d’agréments de stage peuvent-elles être décidées contre les établissements hors les clous ?
Un service qui ne respecterait pas le repos de sécurité – impératif absolu après une garde – ou qui ne respecterait pas le temps de travail de façon outrancière pourrait évidemment faire l’objet d’une potentielle sanction. Mais il faut différencier, une fois encore, le chef de service ou la structure de fonctionnement qui impose la présence de l’interne, de l’étudiant qui revient spontanément pour travailler. Par ailleurs, est-ce qu’un service doit être sanctionné si un interne dépasse ponctuellement les 48 heures hebdomadaires ? Cela doit se discuter au cas par cas. Il faut voir comment s’est compensé.
Chaque année, 10 à 20 carabins et internes se donnent la mort en France. La violence institutionnalisée des études est souvent mise en cause. Comment combattre cette réalité ?
Lorsque des suicides surviennent, ce sont toujours des drames, un échec. Les mots ne suffisent pas à les qualifier. C’est une vraie problématique pour les doyens. Chaque faculté a mis en place une commission d’aide pluridisciplinaire et indépendante qui permet à tout étudiant d’appeler au secours et de bénéficier d’une prise en charge adaptée. À Rouen, les étudiants qui y sont reçus sont de plus en plus en 3e cycle. Il y a quelques années, il s’agissait principalement d’étudiants de deuxième cycle. Il faut mettre en place des systèmes de dépistage plus performants pour repérer plus tôt les internes en difficulté. La souffrance apparaît souvent lorsque les étudiants sont confrontés de manière assez brutale à la réalité du métier. Il faut réfléchir à une immersion plus progressive.
La souffrance apparaît souvent lorsque les étudiants sont confrontés de manière assez brutale à la réalité du métier
Les doyens ne sont-ils pas déconnectés de la réalité des étudiants ?
Tous les doyens sont des médecins ! Je suis anesthésiste-réanimateur, je fais tous les jours des visites dans mon service et j’ai du mal à entendre que je ne suis pas au contact de la réalité du soin. Les étudiants ne doivent pas hésiter à nous parler. L’idée de dire qu’on va tout cacher ou protéger est finie. Il faut arrêter de penser qu’il y a de l’omerta. Les doyens interviennent quand ils ont une information crédible, mais encore faut-il qu’on l’ait. Les étudiants doivent par exemple accepter de nous partager les évaluations de terrains de stage, ce qui est loin d’être le cas. La nouvelle génération a une vision très horizontale du travail mais il faut qu’ils nous fassent confiance. Ils doivent accepter que les plus expérimentés soient tenus au courant en cas de problèmes.
Après la suppression de la Paces et la mise en place des filières PASS et L.AS, quel regard posez-vous sur la réforme ? La fuite des étudiants français à l’étranger n’est-elle pas le signe d’un échec ?
D’un côté, cette réforme est un succès au regard de la marche en avant opérée : n’oublions pas que tous les étudiants qui entrent dans ce système sortent avec une licence. Par ailleurs, la part des admis en deuxième année est passée de 16 à 22 %. Il est plus facile d’intégrer médecine aujourd’hui qu’avec la Paces. Les étudiants doivent donc tenter leur chance en France.
Mais cette réforme est un échec au vu de sa complexité et de la difficulté à rendre l’accès aux études de santé compréhensible, lisible et rassurant. Il faut simplifier et donner plus de cohérence à ce système. En premier lieu, un bilan des filières L.AS est indispensable. Certaines de ces licences créées pour diversifier les profils ont du sens (biologie, sciences humaines et sociales ou chimie pour la pharmacie) mais d’autres restent très éloignées de la médecine. Il faut donc resserrer le spectre. Il est aussi nécessaire de simplifier la sélection. Celle-ci est très lisible pour les élèves de PASS car ils ont le même enseignement et le même concours. Elle l’est beaucoup moins pour les L.AS qui sont interclassés selon un algorithme. Ce système est source d’incompréhension, de souffrance et de recours. Le poids de l’oral doit aussi être raisonnable et, de préférence, cadré au niveau national.
Le poids de l’oral doit aussi être raisonnable et, de préférence, cadré au niveau national
Dans son discours de politique générale, Gabriel Attal préconise de rapatrier les jeunes partis étudier la médecine à l’étranger…
Cette proposition laisse sous-entendre que les capacités de formation des facultés de médecine ne sont pas au maximum et que nous avons des locaux et des moyens humains et financiers pour accueillir davantage d’étudiants. C’est loin d’être le cas ! Au stade actuel, encourager le retour des étudiants partis faire leur 1er cycle à l’étranger supposerait de diminuer le nombre d’entrées en 2e année en France. Cela ne résoudrait en rien les difficultés d’accès aux soins. Cette solution doit rester marginale. Il faut rappeler aussi que la plupart des étudiants partis dans les pays de l’Est n’ont pas toujours le niveau suffisant au point, parfois, de devoir abandonner en cours de route. Cela pose aussi un problème éthique : pourquoi favoriser des étudiants dont les parents ont eu les moyens de payer ce type d’études, connues pour être chères ? La sélection doit se faire de manière la plus républicaine possible.
La sélection doit se faire de manière la plus républicaine possible
Gabriel Attal souhaite qu’une infirmière de bloc expérimentée puisse entrer directement en 3e année de médecine. Où en est cette troisième voie d’accès permettant aux paramédicaux de bénéficier de ces passerelles ?
Les “concours passerelles” existent depuis dix ans. Dans ce cadre, il n’y a aucun problème à ce que des grades master puissent tenter leur chance pour intégrer une 3e année de médecine. Chaque année, 8 % des étudiants intègrent médecine par ce biais. Les profils sont tous très variés et intéressants. On accueille aussi bien des paramédicaux, des ingénieurs que des chimistes ou des biologistes. Ce sont des étudiants très motivés qui ont déjà donné une vraie coloration à leur parcours. Pour la diversification des profils, c’est une piste bien plus efficace que ce que prévoit la réforme du 1er cycle avec les L.AS. Quand on fait une année de licence de chimie ou de droit, on ne peut pas devenir expert en un an.
Faut-il créer de nouvelles facultés de médecine en France, à l’instar d’Orléans, ?
C’est une fausse bonne idée. La création de la faculté d’Orléans est une décision politique et il n’y a pas à y revenir. Mais cela suppose d’y injecter des professeurs, au minimum 45. Ce sont autant de professeurs en moins pour les autres facultés qui risquent d’être affaiblies. La solution ne passera pas par la dispersion des CHU et des facultés mais pas un recentrage. Il faut des CHU et des facultés de médecine renforcées et dynamisées qui projettent la dynamique universitaire dans les territoires grâce à des antennes qui permettront de renforcer l’attractivité.
Suspension de l’interne de Tours condamné pour agressions sexuelles : décision fin novembre
À Clermont-Ferrand, un internat où « tout part en ruine »
« Pour la coupe du monde, un ami a proposé quatre fois le prix » : le petit business de la revente de gardes
Temps de travail des internes : le gouvernement rappelle à l’ordre les CHU