« Je ne m'en souviens plus. Peut-être en Santé publique ? », répond Antoine Reydellet, président de l'InterSyndicale Nationale des Internes (ISNI) lorsqu'on l'interroge sur sa formation en éthique.
De l'avis des étudiants et professeurs sollicités par « Le Quotidien », l'éthique est encore insuffisamment enseignée lors des études médicales, et de façon disparate selon les universités. Pourtant la demande est forte. « Fin de vie, annonce d'un cancer en stade terminal, inscription sur une liste d'attente pour une greffe… On se sent souvent démunis », dit Antoine Reydellet. Sans oublier les conflits avec les proches, les incompréhensions culturelles, les cas de violence ou de rupture de communication avec un patient, ou les conflits d'intérêts. L'éthique sert en outre à (re)trouver le visage humain que le futur médecin pensait trouver dans une médecine qui peut se révéler très scientifico-pragmatique. « C'est en faisant de l'éthique que l'on se rend compte qu'on ne pourrait pas être bon médecin sans la pratiquer », témoigne Luna Potiron, vice-présidente de l'ANEMF.
Un enseignement polymorphe
Les modalités de l'enseignement de l'éthique relèvent de l'autonomie de chaque faculté. Obligatoire, le cours de Sciences humaines et sociales (SHS) de PACES est certes l'occasion d'une première sensibilisation à l'éthique. Mais le programme est vaste, et la perspective du concours, peu propice à l'approfondissement. Quant à l'enseignant, sortir du cours magistral, ou corriger plus de 2000 dissertations relève de la gageure technique. Depuis 2013, le programme officiel prévoit ensuite des cours de SHS en deuxième et/ou troisième année. Puis l'éthique fait partie (marginalement) des items à réviser pour les ECN, questionnaire dont la conception « n'invite guère à la réflexion », considère Luna Potiron.
Faut-il un enseignement obligatoire et uniforme sur l'ensemble du territoire ? Les acteurs concernés préfèrent parler d'harmonisation ou d'accès équitable, plutôt que d'homogénéisation.
« L'éthique n'est pas l'apprentissage de règles ; c'est un questionnement sur les normes, valeurs et principes ; un domaine partagé et partageable, polyphonique », explique Nicolas Lechopier, maître de conférence en philosophie (Lyon 1) président du Collège des humanités médicales (Colhum).
La pluralité de ses modalités d'enseignement ainsi que des acteurs (professeurs de SHS - philosophes, historiens, sociologues, anthropologues, etc. - médecins, soignants, patients) répond donc au sujet. « Nous ne sommes pas de trop pour faire de l'éthique ; l'idéal serait des cours à deux voix : un médecin et un enseignant en SHS », note le philosophe Pierre Le Coz (Marseille). Les SHS aident à problématiser les situations ; les ateliers ou groupes de réflexion sont le lieu de débats contradictoires, de jeux de rôle ou d'exercice de simulation ; les maîtres de stage portent le questionnement au lit du malade ; les staffs d'éthique permettent la reprise d'un cas critique, tandis que des équipes mobiles de soins palliatifs guident dans la complexité d'une fin de vie. Sans omettre les modules optionnels ou les séminaires des espaces éthiques régionaux. Ni les innovations qui fleurissent çà et là.
« Certes il y a des incontournables. Mais il faut laisser les facultés innover afin de sortir du formatage, estime le président de la Conférence des doyens, le Pr Jean Sibilia. Il serait illogique que l'éthique ne vienne que d'une seule source ».
Manque de personnel formé en éthique
Néanmoins, cette polyphonie réclame des moyens pour n'être pas cacophonie.
« Les encadrants de nos stages doivent être correctement formés ; or d'excellents médecins ne sont pas toujours de bons pédagogues en éthique », note Lucie Garcin, présidente de l'ISNAR-IMG.
Les étudiants aspirent à des mises en situation concrètes ou à des ateliers permettant de réfléchir à plusieurs sur un cas. « On ne peut pas être 120 pour débattre. Mais il faut des gens compétents pour porter les débats au niveau local », ajoute Luna Potiron.
Comment assurer la compétence des formateurs en éthique ? Là est toute la difficulté. Il y a un (fragile) consensus pour dire qu'elle n'a pas à être enseignée seulement par des philosophes ou des spécialistes d'humanités médicales. Néanmoins « on ne s'improvise pas éthicien », considère Nicolas Lechopier et un master (voire doctorat) d'éthique pourrait être un gage de compétence. « J'ai formé une dizaine de médecins à l'éthique : pédiatres, réanimateurs, rhumatologues. Pourquoi leur barrer la route ? », abonde le Pr Le Coz.
Plus largement, c'est l'ensemble des SHS dont la place doit être confortée dans les études médicales, notamment dans le deuxième cycle, plaide le Colhum. Or aujourd'hui, seulement la moitié des facultés de médecine ont un enseignant titulaire de SHS. Les humanités médicales restent trop souvent la variable d'ajustement. Le Pr Le Coz s'est ainsi vu supprimer 60 heures de cours en 3e année au profit… du service sanitaire. « Nous espérons que la réforme tiendra compte des compétences acquises lors des SHS : décentrer le regard et saisir la complexité », dit Nicolas Lechopier.
Enfin, du côté des étudiants, on espère le développement des doubles cursus et ce, dès les premières années. L'offre s'étoffe. Mais les obstacles sont encore nombreux : « Cette possibilité n'existe pas dans toutes les facultés et il est souvent plus difficile de suivre un master en Sciences humaines qu'en Sciences dures », constate Florian Martinet-Kosinski, étudiant en médecine et en master 2 en éthique et en santé publique, membre de l’Association Médecine/Pharmacie Sciences (AMPS).
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