Au classement des spécialités les plus prisées par les internes, la psychiatrie fait figure de mauvaise élève. En 2020, elle se classait 40e sur 44, juste devant la gériatrie.
Ce désamour croissant pour la spécialité, depuis une dizaine d’années, laisse de plus en plus de postes vacants. « Alors que nous avions autour de 1 à 4 % de postes d’internes non pourvus en psychiatrie, depuis deux ans, nous notons une forte augmentation : 17,5 % en 2019, 11 % l’année dernière », regrette Marine Gilsanz, présidente de l’Association française fédérative des étudiants en psychiatrie (AFFEP).
Pour comprendre ce manque d’attractivité, l’AFFEP, l’Association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF) et l’Association des jeunes psychiatres et jeunes addictologues (AJPJA) s’associent pour réaliser une enquête nationale transgénérationnelle* : #ChoisirPsychiatrie. Première du genre, cette étude vise à explorer les déterminants de l’attractivité en psychiatrie – en interrogeant à la fois les étudiants en médecine de 1er et 2e cycle, mais aussi les internes en psychiatrie et les psychiatres en exercice.
« Bizarres », « tire-au-flanc »... : les internes en psychiatrie stigmatisés
Parmi les raisons du manque d'attractivité, « les stéréotypes liés au milieu psychiatrique, à la santé mentale et la perception que les étudiants ont de cette spécialité », propose Marine Gilsanz. De fait, la stigmatisation des troubles psychiques tend à déteindre sur la discipline et serait une cause du déclin de recrutement.
Des idées reçues largement véhiculées par le corps médical et étudiant. 56 % des internes (toutes spécialités confondues) pensent qu’un interne en psychiatrie a probablement, lui-même, des antécédents psychiatriques ou qu’il est « bizarre » selon une étude menée par l’AFFEP en 2015, auprès de 1 300 internes en psychiatrie, médecine générale, neurologie, anesthésie-réanimation, pédiatrie et chirurgie orthopédique.
Un tiers d’entre eux estiment que les internes en psychiatrie sont des « tire-au-flanc », 30 % que l’interne a raté ses ECN, et devrait « mal finir » car la psychiatrie est « contagieuse ». Une vision stéréotypée qui touche davantage les internes en orthopédie qu’en neurologie. « Les internes en chirurgie orthopédique sont les plus nombreux à dire qu’ils auraient "préféré arrêter médecine plutôt que d’exercer en tant que psychiatre" (...) », selon l'étude. « Il y a certaines idées reçues disant que l’on travaille peut-être moins, que nous avons moins de mérite académique, ou que le psychiatre n’est plus vraiment un médecin, commente Marine Gilsanz. Nous allons chercher à comprendre comment cela joue sur le choix des internes. »
Pas une spécificité française
L'enquête s'attellera également à comprendre l'impact (sur les choix) de la qualité de la formation et des stages proposés aux externes. Ainsi, le fait d'avoir fait un stage d'externat en psychiatrie pourrait être déterminant. Toujours selon l'étude de 2015, 90 % des internes de psy sont passés par un stage dans cette spécialité au cours de leur deuxième cycle et « parmi eux, près de 65 % ont trouvé ce stage déterminant dans le choix de leur spécialité ».
Cette enquête transgénérationnelle cherchera aussi à confirmer l’impact des conditions de travail et de la rémunération sur l'attractivité de la psychiatrie – spécialité médicale au bas de l'échelle des revenus chez les praticiens libéraux.
« Le manque d’attractivité de la psychiatrie n’est pas une spécificité française », rappelle Marine Gilsanz. En 2016 déjà, la World Psychiatric Association s’inquiétait du phénomène, déclarant qu’aucun pays du monde, ou presque, n’était épargné. « Il est temps pour la spécialité d'arrêter de se dévaloriser en raison de son histoire mouvementée d'asiles mentaux et de pseudoscience, et de se réaligner en tant que spécialité biomédicale clé au cœur de la santé mentale », concluait pour sa part Andres Barkil-Oteo, professeur de psychiatrie à Yale, dans un éditorial publié en 2012 dans The Lancet.
*Enquête menée de mai à juillet 2021 et disponible ici
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