La France commence à manquer de médecins généralistes mais elle s’accroche depuis des années à une certitude.
Avec l’augmentation du numerus clausus depuis le milieu des années 1990, elle parviendra à enrayer la désertification médicale. Funeste erreur. Le président du conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM), Patrick Bouet, a dans sa besace des chiffres aussi implacables qu’impressionnants. Chez les généralistes, la relève libérale ne vient pas facilement. Entre 2004 et 2010, sur les 19 625 postes d’internat ouverts en médecine générale, seulement 9 090 médecins ont été qualifiés de spécialistes par l’Ordre. Et parmi ceux-ci, ils ne sont que 5 503 à exercer finalement en libéral, en cabinet ou avec le statut de remplaçant. Soit seulement 28 % de la cohorte initiale (lire notre infographie détaillée).
« Nous assistons à un gros phénomène de fuite », confirme le Dr Bouet. De fait, sur la période considérée, 14 122 potentiels médecins de famille n’exerceront jamais la médecine générale en ville.
6 300 futurs généralistes volatilisés
Première explication : un grand nombre de postes initialement ouverts à la médecine générale sont restés vacants. Selon le décompte scrupuleux établi chaque année par le Centre national de gestion (CNG), ce sont exactement 4 254 postes qui n’ont pas trouvé preneurs aux ECN pendant cette période de sept ans.
Pire, quelque 6 300 internes pourtant engagés dans le DES de médecine générale entre 2004 et 2010 ont complètement disparu des radars. Une minorité de candidats a abandonné le cursus en cours de route et a quitté la médecine (pour l’industrie ou le journalisme...). Certains ont repassé les ECN pour tenter d’obtenir une autre spécialité. Mais surtout, nombre d’internes se sont engagés dans un cursus complémentaire, qui n’aura parfois rien à voir avec la médecine générale.
L’Ordre constate cette saignée. « Comparativement aux autres filières, la "perte" en médecine générale entre les postes ouverts aux ECN et l’installation est énorme et unique, commente le Pr Robert Nicodème, président de la section formation et compétences à l’Ordre. Dans les autres spécialités, il y un écart d’environ 10 % entre les postes ouverts et les inscriptions définitives à l’Ordre. En médecine générale, 1 000 personnes environ disparaissent chaque année dans la nature. Nous ne savons pas vraiment où ils sont. »
Voie de passage
« Nous alertons depuis des années les pouvoirs publics sur l’urgence d’agir, la médecine générale est une porte ouverte vers d’autres spécialités », argumente le Dr Matthieu Calafiore, président du Syndicat national des enseignants de médecine générale (SNEMG).
Pour certains candidats, le DES n’est qu’une voie de passage vers les nombreux diplômes d’études spécialisées complémentaire (DESC) de médecine du sport, d’urgence, gériatrie, angéiologie, homéopathie, médecine du travail, acupuncture… Autant de praticiens formés pendant trois ans en médecine générale qui n’exerceront jamais cette spécialité (ou à la marge). La médecine générale n’échappe pas au phénomène d’hyperspécialisation de la médecine, au point d’en perdre ses repères.
Depuis décembre 2009, une commission pédagogique (CNIPI) planchait sur une réforme du 3e cycle et une refonte des maquettes et des diplômes. Cette filiarisation (accès direct à la spécialité dès le choix à l’internat) aurait permis de restreindre ce taux de fuite. La semaine dernière, la réforme a été reportée sine die (une nouvelle commission sera installée).
Peur sur la ville
En bout de chaîne, l’exercice libéral continue de faire peur à la jeune génération (selon l’Ordre, 2 845 titulaires du DES acquis depuis 2006 travaillent à l’hôpital et 742 sont salariés...). Malgré le déploiement des stages pendant le deuxième cycle, la formation reste hospitalocentrée. Les généralistes s’installent en ville à 39 ans.
Le Syndicat national des jeunes médecins généralistes (SNJMG) juge cette situation « préoccupante ».
« L’installation s’accompagne de l’insécurité sociale du libéral et d’une absence de moyens pour exercer dans de bonnes conditions, déplore le syndicat. Le modèle économique doit évoluer pour retrouver aussi du temps médical ». Selon Pierre-Antoine Moinard, président de l’Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (ISNAR-IMG), la spécialité doit bénéficier de moyens pour se recentrer sur le cœur de métier. « Les jeunes veulent une médecine clé en main, quelqu’un qui gère leurs rendez-vous, l’administratif, le secrétariat... On a vu la génération de nos parents se tuer à la tâche, on ne veut pas prendre le même chemin. »
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